À corps ou en dés à corps. Exception au Capitaine N°15.

 

J’ai toujours été en désaccord avec mon corps .
Carrément pas raccord avec ce corps qui pourtant n’était ni handicapé, ni malade, ni tordu, ni en surcharge mais doté d’une géométrie spatiale incertaine et encombrante, d’une gaucherie évidente.
Combien de pieds de table, de coins de meuble, de chambranles de porte sont-ils entrés en collision avec ma personne ? Combien d’escaliers ont-ils eu raison de mon équilibre ? Combien d’assiettes, de tasses et autre objets fragiles se sont-ils échappés de mes mains ?
Mon corps a bien souvent fait défaut aux calculs de mon esprit comme le jour où j’avais cru lancer mon lourd cartable en bas de l’escalier du collège. Mon corps avait suivi le mouvement à l’insu de mon plein gré et ma tête avait amorti le choc un étage plus bas, démonstration du manque d’entente entre ces deux protagonistes de mon individu. Ce fut un souvenir percutant et, somme toute, assez drôle de mon bref passage à l’école.
À la même époque (j’avais dans les onze-douze ans), mes parents me voyant si gauche, ont cru bon m’inscrire à un cours de danse classique que j’ai fréquenté deux longues années durant.
Le professeur se nommait Courtois (c’est dire…), et les valses de Chopin, dont, au piano, il accompagnait les exercices, m’évoqueront à jamais ces séances pénibles où j’étais surnommée « l’éléphant ».
Pourtant mon corps n’avait sûrement rien d’éléphantesque : j’étais plutôt petite, maigre et noiraude , les cheveux bruns et coupés court. Incapable de coordonner mes mouvements et de maitriser correctement les bases de la danse classique, je ne faisais que retomber lourdement sur le parquet . Je contrastais avec la grâce de mes petites camarades blondes aux chignons serrés impeccables sur le haut du crâne, fières de leurs chaussons à pointe qu’elles cassaient dans les charnières des portes.
Je n’ai, pour ma part, jamais dépassé le stade du chausson mou.
Mes parents comprirent que je ne serais jamais un petit rat de l’Opéra ; je fus donc inscrite dans un centre d’équitation.
La durée de l’expérience fut fonction de la rigidité dénuée d’indulgence de l’ancien militaire qui dirigeait les cours et de l’animal qui vite comprit à qui il avait à faire : au vu du peu de contrôle que j’avais de mon propre corps, je ne risquais pas de lui imposer ma volonté, dessein qui, quand j’y réfléchis à présent, n’a jamais été le mien.
J’abandonnai donc ; et plus j’avançais dans l’adolescence, plus mon corps se repliait sur lui-même, adoptant une voussure permanente qui me valut d’incessants « Tiens-toi droite ! » de la part de mes parents.
Je suppose que cela les inquiétait plus que moi qui, dans cette posture, renonçais simplement à maitriser mon image. Un vrai soulagement.
J’ai accepté, depuis, le décalage, voire même l’incohérence entre ma tête et mon corps. Le regard des autres quand il était bienveillant et surtout le regard amoureux m’ont permise, à défaut d’être complètement en harmonie, de vivre mon corps au mieux.
Avec le temps, j’ai également cultivé l’autodérision par rapport à ma maladresse, à ma géométrie improbable, à ma légendaire incapacité à m’orienter dans l’espace, à mon manque d’équilibre postural.
Ces caractéristiques font partie intégrante de ma personne. Mais j’aurai toujours ce sursaut et un sentiment de perplexité en surprenant mon reflet de profil ou de dos dans un redoublement de miroirs.
J’aurais pu m’épancher davantage sur ce p… de corps qui n’en mérite pas tant ; je ne voudrais surtout pas donner raison à l’arthrose qui me rappelle quotidiennement son existence.

Gertrude n’a-t-elle pas prouvé que la tête pouvait tout à fait se passer des contingences du corps ?
Aurais-je pour autant imaginé que moi Crâneuse, Capitaine de ce blog exclusivement dédié à un crâne sans chair ni corps, je réaliserai une sculpture ? Vous savez le truc en trois dimensions qu’il faut concevoir dans l’espace et autour duquel il faut pouvoir tourner, ou au pire le machin dans lequel on se prend les pieds en regardant la peinture… Et une sculpture en vrai bois, sur le corps en plus ! À partir d’un défi lancé par un psychomotricien, qui plus est !
« Le mouvement révèle le corps. » a-t-il dit.

Pfffffff……. C’était juste un jeu.

Article dédié à B. et à la psychomotricité.


Juliette Charpentier, Capitaine de ce blog.
9 avril 2022

JC,Décembre 2021- Mars 2022,  Le Corps en Jeu ou le Je du Corps. Bois de tilleul sculpté. Dimension variable.
Photographie montrant la « sculpture »  ainsi que son mode d’emploi et les dessins  préparatoires ayant permis sa réalisation.

.

 

Gertrudum polycephalum ou la tentation du vivant.

 

Dessins du crâne de Gertrude et sclérotes de physarum polycéphalum sur papier filtre. Diamètre : 9 cm.

La Crâneuse aux détours des méandres de son Os si mort, curieuse de tout depuis sa tendre enfance dans la contemplation des fourmis et des caméléons, n’a cessé d’observer crânes et coquilles vides, natures mortes ou silencieuses, choses vivantes mobiles ou immobiles.
Ainsi a-t-elle, l’œil en éveil et un peu par hasard, découvert il y a quelque temps un petit myxomycète* sauvage dans son jardin qu’elle a prénommé Pampa ; que faute de parvenir à élever à l’abri de son antre, elle a laissé vivre dans son milieu naturel.
L’observation de cet organisme s’est rapidement avérée compliquée par une météo corrézienne capricieuse. La Crâneuse, dans sa soif d’en apprendre davantage sur le phénomène, a donc cédé à la tentation d’acquérir via Internet un spécimen approchant, un physarum polycéphalum de souche australienne particulièrement bien adapté à la vie en laboratoire.
La Crâneuse s’est rapidement prise au jeu de la science, bichonnant et faisant croitre le petit être jaune et gluant prénommé Ricci, le nourrissant avec amour et lui fournissant tout le confort qu’exige son fragile plasmode, tout en s’émerveillant de ses incroyables capacités.
(Si les détails de cet élevage vous intéressent, retrouvez-les sur le compte Instagram dédié à Pampa et Ricci : @pampa_et_ricci ).
De ce petit élevage domestique pseudo-scientifique à la participation à la Science avec un grand « S » il n’y avait qu’un pas, et la Crâneuse, en toute logique, n’a pas manqué de candidater à une grande opération d’expérimentation participative « Derrière le blob, la recherche » organisée par le CNRS et plus précisément par Audrey Dussutour, chargée de recherche, grande spécialiste des êtres unicellulaires et des « blobs ».
À la veille de cette expérience inédite sur le réchauffement climatique qui doit mobiliser le sérieux et la rigueur exigés par toute étude scientifique, la Crâneuse a « endormi » la totalité de ses « Ricci » pour ne pas interférer avec la souche prochainement envoyée par le CNRS, déjà prénommée Céhènéresse.
La Crâneuse dans ses délires pseudo-scientifiques, voire carrément scientifiques, n’en a pas pour autant oublié sa nature plasticienne et crâneuse. Voici qu’elle se retrouve avec une cinquantaine de « sclérotes » sur papier filtre, état intermédiaire de sommeil ou de vie suspendue que le myxomycète adopte en cas de pénurie nutritive et hydrique, et dans lequel il peut rester indéfiniment dans l’attente de conditions adéquates à son réveil et son développement.
Profitant de ce temps de latence entre deux aventures « blobesques », la Crâneuse s’empare de ces supports dessinés par les hasards logiques de la nature afin d’y mener quelques expériences plastiques et pourquoi pas crâner un peu…
Gertrude n’est-elle pas polycéphale ?

 

*Les myxomycètes sont des organismes unicellulaires ni végétal, ni animal, ni champignon. Outre quelques souches étudiées en laboratoires, il en existe un très grand nombre la plupart vivant en milieu naturel . Ils sont communément surnommés « blob » pour leur caractère gluant et invasif en référence au film de SF « The Blob » de 1988. Les myxomycètes, bien que dénués de cerveau, sont presque immortels et possèdent des capacités étonnantes d’apprentissage et d’adaptation.

Physarum polycéphalum sur gélose dans boite de Pétri photographié sur fond bleu. Diamètre : 9 cm.

Essais d’aquarelle à partir de physarum polycéphalum.

Sclérotes sur papier filtre.

Dessins à l’aquarelle et crayon réalisés « en miroir » à partir de sclérote de physarum polycéphalum. Diamètre : 9 cm.

Aperçu de l’élevage du »blob ».