Philippe Soupault.

 

        C’est à cette époque que je lus les Chants de Maldoror, qui demeurent pour moi la plus grande révélation.

        Isidore Ducasse. Ces quelques syllabes suffisent à me réconcilier pendant une heure avec moi-même. Il m’importe peu de découvrir, ici ou là, d’autres intercesseurs. Un seul suffit à un seul homme. On parle toujours de l’étoile, de la bonne ou de la mauvaise, d’un être : on ne parle pas d’un firmament. Il me semble que Lautréamont m’empêche d’admirer.
    Cette joie que tout à coup je recueille pour mes sens endormis est une joie sans qualificatif, une joie enfin que je désire et que j’attends. Lautréamont. Ô désespoir de ma vie, ma chère frontière, borne miraculeuse ! J’apprends grâce à lui à me décider à vivre, comme le dernier des crabes. Tout ce qui, autrefois, pinçait mon cœur et fouillait mon cerveau se fane et achève de mourir, sans même que j’y prenne garde.
(…)
        N’est-ce pas qu’il faut avoir du chagrin, beaucoup de chagrin parce que l’on est né trop tard ? Je me console de la mort de mon ami qui fut, dit-on, prématurée, mais non de ma naissance tardive… Il suffisait d’une seule génération. Me voici (moi et les autres) misérablement réduit à fouiller dans les souvenirs, à gratter les pages d’un livre. Un homme, un homme, est-ce que l’on rencontre cela si souvent ? Est-ce que vous en voyez beaucoup autour de vous ? Est-ce que la pourriture qui pue est si féconde ?
        Il faut chercher longtemps. Et lui vivait il y a à peine cinquante ans. Je suis arrivé trop tard et mon ami est mort. Il s’en fallait de trente ans ! Quelle tristesse d’être obligé d’imaginer la dernière crispation de cette bouche pour pouvoir se souvenir d’un visage moribond et chéri !
(…)
        Ce n’est pas à moi, ni à personne (entendez-vous, messieurs, qui sont mes témoins ?) de juger M. le Comte. On ne juge pas M. de Lautréamont. On le reconnaît au passage et on le salue jusqu’à terre. Je donne ma vie à celui ou à celle qui me le fera oublier à jamais.
        J’étais couché dans un lit d’hôpital lorsque je lus pour la première fois les Chants de Maldoror. C’était le 28 juin. Depuis ce jour-là personne ne m’a reconnu. Je ne sais plus moi-même si j’ai du cœur.
        « Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire. »

Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, Mémoires de l’Oubli. 1927

 

3 juillet 2008: Chronométrage n°8.

 
COMME SOWANA,

Gertrude vous répond,
Gertrude discute d’Art avec vous,
Gertrude (ne) dit (pas) n’importe quoi,
Gertrude a mauvais caractère,
Gertrude est une boite vide,
Gertrude vous parle.

SOWANA


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GERTRUDE


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    Il est clair qu’une oeuvre ne vous intéresse qu’en tant qu’information sur l’art. Vous même, vous produisez des informations sur l’art lorsque vous fabriquez un objet dans votre atelier, lorsque vous organisez une exposition, lorsque vous écrivez un texte pour un catalogue. Même lorsque vous dites que le réel vous intéresse plus que l’art vous produisez de l’information sur votre idée de l’art, et c’est cela qui vous intéresse en fait, bien plus que ce soit-disant réel. D’ailleurs vous ne cessez pas de produire et de traiter de l’information; lorsque vous discutez avec vos voisins de la dernière exposition de l’ARC; lorsque vous parlez de tel et tel avec tel autre au téléphone. Il est clair également qu’en fait d’information vous pouvez aussi vous intéresser à autre chose qu’aux oeuvres elles-mêmes. Il faut reconnaître à l’art d’autres médias que l’exposition.

La conversation par exemple en est un tout aussi valable.

Maria Wutz*,
1992,

L’art après Hypercard, Catalogue Générique, vers une solidarité opérationnelle,
Centre d’art contemporain, Meymac. Collection Yoon Ja et Paul Devautour.

 


Hommage au Cercle Ramo Nash*
et à La solidarité Opérationnelle.

*Méta-Oeuvre de Yoon Ja et Paul Devautour,
en savoir plus par un spécialiste:

Bricolage.

Silence, on relique.
Prochain article:
Premier juillet deux mille huit.


       
        Une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, put être une science que nous préférons appeler « première » plutôt que primitive : celle communément désignée par le terme de bricolage. Dans son sens ancien, le verbe bricoler s’applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l’équitation, mais toujours pour évoquer un mouvement incident : celui de la balle qui rebondit, du chien qui divague, du cheval qui s’écarte de la ligne droite pour éviter un obstacle . Et, de nos jours, le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme de l’art. Or, le propre de la pensée mythique est de s’exprimer à l’aide d’un répertoire dont la composition est hétéroclite et qui, bien qu’étendu, reste tout de même limité ; pourtant, il faut qu’elle s’en serve, quelle que soit la tâche qu’elle s’assigne, car elle n’a rien d’autre sous la main. Elle apparaît ainsi comme une sorte de bricolage intellectuel, ce qui explique les relations que l’on observe entre les deux.
        Comme le bricolage sur le plan technique, la réflexion mythique peut atteindre, sur le plan intellectuel, des résultats brillants et imprévus. Réciproquement, on a souvent noté le caractère mythopoétique du bricolage : que ce soit sur le plan de l’art, dit « brut » ou « naïf » ; dans l’architecture fantastique de la villa du facteur Cheval, dans celle des décors de Georges Méliès ; ou encore celle, immortalisée par les Grandes Espérances de Dickens, mais sans nul doute d’abord inspirée par l’observation, du « château » suburbain de M. Wemmick, avec son pont-levis miniature, son canon saluant neuf heures, et son carré de salades et de concombres grâce auquel les occupants pourraient tenir un siège, s’il le fallait…
        La comparaison vaut d’être approfondie, car elle fait mieux accéder aux rapports entre les deux types de connaissance scientifique que nous avons distingués. Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est à dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genre de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit, et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état ; mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type.

Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage. La science du concret.

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