Gertrude compte.

Il était une fois


la Princesse
 
Gertrude

Les Talismans ont été offerts à la Princesse Gertrude par une Fée.

Il était une fois une princesse qui s’appelait Gertrude.

Enfin, ce n’était pas tout à fait une princesse, tout juste peut-être les restes d’une princesse. Car Gertrude était un crâne, et, qui plus est, un crâne sans corps. Une princesse, en général, possède un corps parfait, un joli visage, de longs cheveux fins et blonds comme de l’or, un teint de lys où circule le délicat incarnat de la vie, une bouche douce comme le corail ; elle est vêtue de robes magnifiques ornées des pierres précieuses et de dentelles fines. De plus, une princesse ne meurt jamais. Mais Gertrude ignorait tout de sa vie passée et se plaisait à imaginer qu’elle était princesse, que ses parents étaient roi et reine et l’avaient désirée comme le trésor le plus précieux. N’allez pas croire pour autant que Gertrude était royaliste, elle rêvait juste à une famille comme dans les contes de fées. Gertrude n’avait plus aucun souvenir au fond de sa boîte vide, pas la moindre petite photo épinglée sur la paroi de son os, pas le moindre bibelot poussiéreux à la surface de son occiput ; elle n’avait donc pas besoin de s’encombrer d’une mémoire banale, elle était libre d’inventer l’histoire qui lui convenait, son histoire.

Il était une fois une princesse qui se nommait Gertrude.

Il se pouvait tout à fait que la princesse ne se nommât pas Gertrude et que ses parents eussent choisi un autre prénom plus joli, surtout s’ils l’avaient désirée, ce dont Gertrude n’était pas tout à fait sure… Mais Gertrude n’allait pas perdre tout le temps qui lui restait et qui était indéterminé, pour se perdre en conjectures sur un détail qui ne changeait rien à sa présence ; car le plus important était qu’elle fut là, pour inventer cette histoire. Ce qui était sûr, par contre, c’est que quelque chose s’était produit dans sa vie, sinon elle ne serait pas là à se rappeler ce dont elle ne se souvenait pas. Elle caressait même l’idée que le surnaturel eût pu se pencher sur son berceau de bébé ; hormis la certitude, somme toute rassurante, que sa structure osseuse était obligatoirement passée par ce tendre état, Gertrude avait la conviction que son destin s’était infléchi à ce moment crucial et qu’une certaine fatalité expliquait l’apparition de l’accident dans son parcours de femme. Aussi, pouvait-elle des causes supposer tous les possibles, mais de l’effet n’en faire que le constat. Car il fallait bien admettre, qu’à l’instar d’une princesse, la situation de Gertrude était hors du commun. Le crâne Gertrude avait perdu la totalité du reste de son corps, son identité, la date de sa naissance, celle de sa mort, enfin tout ce qui accompagne le commun des défunts dans sa dernière demeure et qui permet de rassembler la compassion de ses proches. Il lui fallait également considérer que cet état était la conséquence directe d’un choix de son vivant, plutôt le choix d’une femme vivante, projetant sa mort ou se projetant dans la mort. Celui, conscient, d’offrir la dépouille inerte et amorphe de ce que sera son corps à présent vivant, non pas à la dévotion funéraire et à son fantasme de mémoire, mais à la réification de la Science.

Il était une fois la Princesse Gertrude.

Même si la destinée d’une Princesse semble tracée et écrite d’avance et semble découler des cheminements les plus merveilleux, elle n’en reste pas moins complètement assujettie à l’imprévu. La princesse que fut Gertrude avait choisi de soustraire ses futurs restes à la nébuleuse incertaine d’une émotion cultuelle autour d’une sépulture que peut-être nul n’arroserait de larmes. Elle avait préféré livrer sa substance charnelle et osseuse aux éprouvettes et aux bocaux, à l’œil analytique du microscope, au cadre de la définition scientifique. Gertrude, là aussi, était impuissante à affirmer quel événement pouvait amener à une telle décision, quelle était la part de désespoir, d’idéalisme, de pragmatisme, de provocation, de romantisme ou de  je ne sais quoi encore qui pouvait entrer dans cette démarche. Mais elle en arrivait quand même à la conclusion que ce choix ante mortem, et, qui plus est, ce choix de la Science, relevait d’un désir de maîtrise sur un devenir inéluctable qui nous voue tous à l’informe. Force lui était aussi de constater que cette maîtrise n’était qu’illusion de vivant sur ce qui essentiellement nous échappe ; car il n’y a pas grande différence pour un mort à passer de la taxinomie des stèles des cimetières à celle de l’étiquetage des bocaux. La différence n’existe que pour les vivants dont le corps des morts et leur prochain corps mort seront supports de leur mémoire de vivants. La Princesse Gertrude, à l’évidence, a fait le choix de l’anéantissement de ce corps en tant que support, l’offrant au  démembrement du scalpel, à une certaine obscénité de la découpe qui lui ferait perdre toute humanité, toute possibilité de retour sur son identité.

Il était une fois une Princesse : Gertrude.

Or les choix d’une Princesse amènent toujours à l’infime improbable de la rencontre ; ainsi une princesse, guidée par la fatalité, ira se piquer le doigt au seul fuseau existant dans le royaume et s’endormira, non pas pour l’éternité comme l’aura prédit la méchante sorcière mais pour cent ans, car une gentille fée cachée derrière le rideau pourra défaire en partie le maléfice. La Princesse Gertrude malgré la décision radicale de s’offrir le néant en guise d’éternité n’avait pas prévu de « rencontrer » après sa mort la seule « fileuse » de la salle de dissection, celle qui ignorait tout des édits de la Science, et qui faisait fi du pragmatisme usité en ces lieux.. Et c’est ainsi qu’elle quitta les voies exactes de l’anatomie pour pénétrer dans les souterrains obscurs des connivences non avouées de la Science et de l’Art. C’est ainsi qu’elle se retrouva, probablement en totale contradiction avec ses desseins, non pas à dormir paisiblement dans le Temple imposant et rempli de clarté de la Science, mais l’os en éveil, dans une obscure étagère poussiéreuse peuplée des bricolages les plus invraisemblables et des idées les plus louches. C’est ainsi qu’elle fut placée non pas sous la froideur de la pensée analytique mais au centre d’un maelström émotionnel et affectif. C’est ainsi qu’au lieu d’être soumise aux seuls calculs de ses mensurations objectives, elle se retrouva dans les décomptes subjectifs des désordres d’une mémoire fantasmée, dans la reconstruction d’un temps non prévu, dans l’attente d’une forme d’événement qui situerait un avant et un après dont, de son vivant, elle avait voulu faire table rase.

La Princesse Gertrude attendait, comme les princesses attendent le Prince Charmant, l’accomplissement de la promesse de délivrance qu’elle avait oublié de se faire.

 

 

JC, mine de plomb.

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41 réflexions sur « Gertrude compte. »

  1. Splendide itinéraire d’un os égaré promis à la célèbrité …Un conte de fée, un Os qui a retrouvé son ombre et ne l’a pas perdue comme le héros de Chamisso , cet Os pas eu à vendre son âme au Diable…à moins que le Diable ne se soit manifesté sous l’apprence d’une femme extravagante nommée …Juliette!!!
       Quand….   Le Mal est un Bien      🙂  Quand le Diable  serait …féminin….jusqu’à la moelle!!!

    Quel talent de conteuse!!!! Alors vous fréquentez les fées maintenant? C’est nouveau…
     Fichtre!….Quelles relations….!!!Ah! vous prenez toutes les proctections vous!!!(pour ne pas dire toutes les précautions…)( vous mangez à tous les rateliers…:))
                                                             votre Magicienne
                                                                                   Hécate

  2. Tant qu’il n’est pas au vert..
    J’étais tentée par quelque chose de plus trivial, mais je me retiens, par contre je suis bien bonne de vous répondre, vous qui ne répondez jamais à mes coms, surtout quand j’essaye d’être intelligente et cultivée dans votre blog à vers à l’inverse des miens.

  3. Et mon cher Vincent comment faites vous pour savoir que vous êtes lu sans en lire les effets?

    Bon, j’ai compris, la prochaine fois je ne serai juste qu’une passante à lecture, à défaut d’une passette à thé.
    Je peux être aussi une simple touriste avec mon appareil photographique… 🙂

  4. Bon, puisqu’il semble que la boutade de mon ‘disons’ vous monte au nez, disons que, quand les commentaires se suffisent, apportent au propos, l’orientent, l’approfondissent, l’éclairent… – comme vous savez le faire chère Juliette –, il est inutile d’ajouter le commentaire au commentaire, ce serait diluer la sauce vers l’insipidité…

    Et puis, il y a mon silence… et, au delà de mon silence, il y a la mer…

  5. Et maintenant j’aimerais vous poser la question que se posent tous les lecteurs de ce blog:
    Ce conte onirique à tendance Shopenhaueriste, peut-il coexister, à travers un
    concept suréaliste ossuaire, avec une broderie carré vichy intrinsèque des plus érotique?

  6. Eh! bien…je viens faire un tour ,voir si tout le monde n’est pas tomber endormi sur ce merveilleux conte…
    V. a le mal de mer? …
    Et qu’avez vous du néologue? Endormi par un soporifique puissant?
    Emile a l’art   à   carreau 🙂
                                                            votre Magicienne

  7. Vincent est en Mer, le Néologue à la Montagne, et Èmile en profite pour me décocher quelques carreaux cultivés de sa fine arbalète philosophique…
    Heureusement que vous tenez le Cap.

  8. C’est un crâne qui m’est familier : j’ai pu le croiser chez Plaiethore il y a quelques mois… une photo assortie d’un lien. Mais il y a des pages, de blogs ou autre, que je n’ose pas commenter la première… C’est en silence que j’étais passée. Je comprends encore pourquoi aujourd’hui. Cet article me suffoque les mots ! S’arrêter à la beauté de l’écriture, ici, ce serait te lire d’un seul oeil. Non, ce qui me subjugue surtout, c’est la fluidité avec laquelle le sens coule naturellement, se creuse, s’inscrit, nous fiche à nous lecteurs, un assaut d’interrogations en tête.
    Princesse Gertrude a choisi d’abolir le sens vivant de son individualité, et ce, dans un merveilleux sursaut de dévouement envers l’utile, le plus-tard, le progrès, les ambitions humaines peut-être. Il n’y a pas d’âme dans la science en elle-même, pas d’émotions dans la recherche. Mais c’est l’humanité partout qui est présente dans le sacrifice de soi, et même simplement dans la « volonté de ». Quoi de plus respectable, digne et beau en effet, que les « dernières volontés » ?, alors même que leur titre a tout du sacrifice (il s’agit pour les énoncer, de se supposer ne plus exister… effort à tout animal impossible ! S’annuler en esprit !).
    Bon, ici en l’occurence, ça n’a pas fonctionné. Elle qui voulait que son crâne, mort, témoigne de l’absence du sujet, ne fut pas trop servie : loin des objets glacés que la science fait siens, elle devint un carrefour d’herméneutiques diverses ! Objet d’art ! L’appel aux subjectivités ! Un bel article sur l’ironie du sort… Une source de réflexions inépuisables aussi, sur la différence entre ce que l’homme investit dans l’art, et ce qu’il investit dans ses ambitions « objectives »…

  9. Quel magnifique cadeau que celui d’un oeil monochrome qui révèle les nuances. Merci de ce regard éveillé sur les orbites creuses et dérisoires de mon os. En effet, donner son corps à la Science est probablement un don de soi mais sans soi, un oubli de l’être dans l’objectif, une biffure sur sa postérité; mais c’est probablement un message vers l’inconnu, vers ces interstices d’incertitude que recèle l’éparpillement de sa substance, le basculement de son unité d’humain dans la découpe carnée.
    Je pense que cette Princesse a lancé son corps comme une bouteille à la mer de tous les possibles.
    Reviens souvent, toi, dont j’ai croisé la belle lucidité.

  10. Ah! je découvre une fois de plus ce matin  le talent de Monochrome.Dream que je connais depuis sa venue dans mon salon cramoisi, et elle a su m’anéantir de bonheur par la profondeur sensible de ses pensées. Belle rencontre chez la Princesse Gertrude, que nos trois esprits d’un coup en osmose ici!…
    De beaux moments en perspectives !!!
                                                               Hécate ( qui ne reçoit plus de sonnerie d’OB ici ! )
                                                 

  11. Il était une fois…une Cendrillon lisboète qui poussait sur les pavés sa chanson d’abandonnée,passa par la ruelle un riche et noble Portuguais qui s’éprit d’elle…
    Et sa vie fût changée..Il l’épousa…!
    Les contes de fées existent à Lisbonne

    « J’aimerais que mon cercueil
    Soit d’une forme bizarre
    La forme d’un coeur
    La forme d’une guitarra ».
               Fado de la Mort
                    Pour Gertrude
                         apporté par
                                            Hécate

  12. Bien sûr que vous l’êtes,et ,cela fait partie du Jeu,votre silence…Où ai-je la tête???
                 Et je crois savoir que votre équipage ,vos écuyers

    ,vos laquais…et tous dans ce château le savent…
    Un jour,votre Prince viendra…:)

  13. Et si cette princesse était juste un tantinet misanthrope au point de se piquer exprés au jeu du fuseau soporifique…
    Non, Magicienne, je suis désolée de vous décevoir..
    Il se trouve seulement que le Capitaine de ce fichu Triblog a une véritable armada de vaisseaux tous plus exigeants les uns que les autres et une tripotée d’équipages tout à fait tangibles, ceux-là, et qui ne soufffrent pas d’être négligés.

    PS: Inutile de rameuter la population Émilienne et les Juliette venues du chaud/froid de bouillon.
    Par contre merci pour le Fado.

  14. Hélas il n’en est pas de ma volonté mais des obligations terrestres auxquelles je suis soumise…
    Mais j’apprécie, croyez moi votre sollicitude envers les éclipses forcées de Gertrude.  🙂

  15. Mes pensées ne sauraient vous faire manquements.
                                                                                                  votre Hécate

  16. Mais je n’en doute pas un instant, mon amie.. car vous êtes mon amie; et je ne mérite pas tous vos soins..
    Ma petite réflexion sur le blog d’Émile n’était pas là pour vous froisser mais plutôt par rapport à notre ami Émile qui va finir par se sentir harcelé..
    Il a déjà fort à faire avec certaines de ses prétendantes!

    Vous êtes mon amie, et à mes amis (qui sont fort peu nombreux, pour cause) je dis tout! 
    Bien à vous, chère Hécate.

  17. Merci ma chère Mère cière. Depuis mon enfance j’ai toujours aimé compter les contes et conter les comptes.

    Mais FB est encore une façon de s’en conter encore et de réactiver les vieux comptes.

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