Gertrude ou l’exercice du vide

 

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JC, aout/septembre 2010,
Ouvrage, Remplissage de vacances,
fils, perles, applications de tissus de récupération sur tissu imprimé,
31 x 44 cm
 

Gertrude est un motif paradoxal.

 

Plus je crois en atteindre le fond, plus je me heurte à sa forme.

Plus je pense dessiner  les contours de ses traits plus je me perds dans les méandres de ses plis.

Plus j’invente l’épaisseur de sa chair, plus je suis confrontée au creux de son os.

Plus je crois lui acquérir de l’être plus je tombe dans le vide.

 

Le vide m’attend à chaque détour de mes réalisations, il habite mes actions, il est le compagnon d’un voyage sans retour, il est ma raison ; il est aussi la raison de Gertrude.

Le vide en arrive à prendre forme, une forme sans limites, sans géométrie, sans définition, au-delà de la science et de l’entendement.

 

Car Gertrude se vide de sens à mesure que j’avance.

Elle devient le vide et j’avance sur un rien.

Un rien qui abolit le temps et l’espace, où je parodie un avancement, comme une danse immobile.

Et mon pas est un piétinement qui pousse le pathétique à se nier lui-même.

 

Car Gertrude se moque de devenir Gertrude.

Du sujet que je souhaite, elle m’envoie l’objet immuable.

Elle est si peu, et m’est si peu livrée, que je peux la répéter sans fin, comme le motif d’une vilaine tapisserie jaunie, comme la litanie d’un son qui n’est même plus prière.

Ce vocable dans ma bouche aphasique perd toute attache, et les liens ridicules que je brode autour de sa tête se rient des phrases que je ne prononcerai jamais.

 

Seuls restent, comme un défi,  la vibration agaçante d’une partition impossible et le vide flamboyant.

 

Paris, le 03/10/10
 
 Juliette Charpentier,
Capitaine du cyber-vaisseau Gertrude
 

 

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Le Capitaine vide son sac sur la Toile

depuis deux ans et neuf mois.

 

Voyagez sans correspondance

avec

Gertrude Rose

 

Prenez du bon temps

avec

Gertrude Noire

 

32 réflexions sur « Gertrude ou l’exercice du vide »

  1.  Quand Gertrude  est en villégiature ,le vide qu’elle nous chante comme un leitmotiv de romance l’autorise à broder nos songes les moins sensés ,mais quelle belle folie ,si aliénante pour ses admirateurs-admiratrices , que  ce serait déraison que de n’en avoir point quelque peu  !

    Sur le terreau de son jardins elle cultive à coups d’aiguilles ensorceleuses les fleurs bucoliques qui nous semblent une bien innocente occupation à passer le temps ,mais quel sort a-t-elle jeté là ?

     Le langage des fleurs  du Temps-Jadis est une connivence qui n’est point ignorée… dans le Jardin Crânique ,il y a des constantes reconnaissables ,le blanc de la pureté ,l’eau de la joie  ,le rouge  pudeur et passion ,saison de l’été et du coeur  , le vert de l’espérance , (de l’herbe qui pousse sur les tombes …aussi ),le vert de la jeunesse et des succès , le bleu du ciel des amours platoniques ,le jaune de la gloire  ,l’or solaire …

    Mais …et le parfum de toute ces broderies dont les variations peuvent enivrer ?…

  2. À vous, merci de ce magnifique commentaire brodé de vos fines mains baguées, de cette dentelle de mots que vous savez si bien ciseler, de ce fil que vous tissez au-dessus du vide pour permettre à un crâne d’avancer encore, et encore à petits points de funambule vers de lumineuses rencontres.

    La croissance des fleurs, figées dans l’impression du textile, s’épanouit sous l’aiguille qui la suit, et en dit long sur les méandres de la raison qui s’y perd, de la mémoire qui s’y entrelace, de la conscience qui s’y oublie, des occcupations à l’aveuglante innocence où se terrent quelques tissages d’angoisse en comblement de l’insoutenable.

    Vous savez lire les fils dans leurs nuances sans oublier l’implacable cruauté de l’archal qui serpente.

    Vous êtes Magicienne.

  3. Vous avez raison:

    La vie est pleine de rien,

    Pleine de riens,

    De rien du tout

    Des riens du tout

    Et de tout le rien

    Car le rien est tout

    Et la vie est pleine du tout et n’est pourtant pas pleine du tout

    Et ce n’est pas une morne plaine pour autant.

  4. Mais c’est que vous radotez très bien, ma soeur Anne! Et il n’y a pas d’âge pour radoter. Et comme j’aimerais radoter comme vous; moi, je radote, mais mal, cela confine au TOC pathologique et vide de sens.

     

    Mais d’ailleurs j’entends Gertrude Rose et Gertrude Noire qui trépignent derrière, et qui aimeraient bien que vous veniez radoter un peu chez elles…

  5. Gertrude est la pomme croquée de la mort, la calcification d’un vide qui fut plein, le fil du rasoir de l’anéantissement, la structuration mystérieuse de ce qui n’est plus, la disparition que l’on voit encore, la forme sans fond d’une conception vitale, le retour à la poussière sans la décomposition, la fin sans le commencement, l’origine sans objectivité, la finalité avec subjectivité, le sort jeté sans la baguette du prestidigitateur… Comment ne pas avoir le vertige en sa compagnie (?) Comment ne pas avoir envie de chuter avec elle (?)

  6. J’aime bien ces images oxy-mort, « la disparition que l’on voit encore », « la fin sans le commencement », « l’origine sans objectivité »…

    C’est vous qui me donnez le vertige, Plaiethore avec la précision chirurgicale dont vous avez l’art de sculpter au plus près les maux en mots, de vous approcher du sens jusqu’aux limites du dessillement irréversible.

    Vous dites exactement, oui exactement au bon endroit; sous le soleil exactement.

  7. Très chère Bernadette,

    Vous êtes suffisamment aux fêtes des miracles pour savoir que le crâne séant a assez d’inconscience et de déraison pour ne « jamais douter que des détails, mais jamais du don des nues » ; et vous êtes la mieux placée du haut de votre canasson et la tête dans les étoiles , pour savoir aussi, que si ce foutu rafiot trimarrant a passé tous les caps de bonnes espérances sans jamais partir au fond de la vase du vieil océan, c’est que cette vieille barquasse trouée a fait des rencontres lumineuses pleines d’ombres et de mal d’Horror, qu’elle a vu quelques oiseaux noirs passer à l’horizon et des vols de mouettes étincelantes.

    En nez fait, depuis que nos chemins se sont croisés, l’os a coulé sous le Pont des Arts. Gertrude a pourtant été vérifier plusieurs fois : la lampe brûle toujours dans les flots noirs de la scène. La poésie est toujours là, perpétuée par ceux qui sont passés et trépassés sans entendre sonner les heures ni le glas de cette Toile improbable. Mais jamais, au grand jamais, con n’a mis le pied sur le pont, je vous le promets, et nous nous l’étions promis en jurant et crachant des fers à cheval  et sans ménager nos fers à repasser.

    La crâneuse à caractère de cochon a bien eu quelques tempêtes cérébrales,  a bien failli rattraper par les cheveux le comité des tiques roses, parties en villégiature  se dorer la pilule dans une niche fiscale sous le ciel des Caraïbes,  afin de le faire statuer sur la validité du porc d’art et du permis de circuler d’un dada prioritaire, ainsi que sur certaines procédures de recouvrement de poings serrés et perdus après usage abusif et injuste d’un râteau sidéral sur la personne, certes peu talentueuse, mais tout à fait innocente de Clémence Adhère, photograve du dimanche. Après concertation en tête-à-tête avec  sa calebasse, l’autruche noire a préféré s’en remettre à l’indulgence du dieu Zazard pour contribution  passée en Soupault Poulpe et  Parapluie tarbais à l’égard de quelque vent cardinal saisonnier, passé maître dans lard de la disparition. Elle a donc remis tranquillement son crâne sous le sable avec son mouchoir dessus et a attendu sereinement  deux petites ânées à lire le Comte, assise dans sa grotte à miracles, se réjouissant d’avance du feu de joie qu’elle pourrait faire avec toutes  ces béquilles accumulées  sur son seuil..

    Mais elle ne voudrait pas devenir trop Lourdes, et garde dans son infini souvenir, quelques champs magnétiques toujours actifs, un peu de Soupault sur le gaz et quelques salades poulpeuses ici et là pour les invités.

    Porte-toi bien, rmb au regard de soie

  8. « C’est de la gauche que venait la lumière quand Léonie L. se penchait sur son ouvrage aux heures lentes et songeuses de la couture et du tricot. Avec l’ourlet et les reprises, devant les toiles à rapiécer …, c’est sa vie décousue qui lui revenait à l’esprit. »

                              Gérard Macé (Chanson de toile in : Vies antérieures  Gallimard)   

  9. C’est tellement vrai: la couture et la broderie arrête le temps et la conscience s’envole. J’aime cet état presque intermédiaire juste suspendu  à ce fil qui avance, où la contrainte d’un motif, presque hypnotique, devient prétexte à l’échappée.

    Très belle citation, merci.

  10. Juliette appliquée, appliquant à petits points, à points serrés, des patchs pansants sur la chiffe molle en pensant à Gertrude.

    Broder sur Gertrude et, toujours se heurter à Gertrude !
    Serrez les poings, chère Juliette, à petits points !
    Vanité ! Un point, c’est tout !
    Gertrude se rit de vous ! Et vous le savez !

    Le vide n’est pas flamboyant ! Le vide est VIDE.

    Tant qu’on pourra en rire !

    Votre très affectionnée et rabat-crâne…
     l’ambuleuse, mfd

  11. J’vais m’acheter un dictionnaire à la ville et j’reviens demain soir… Puisqu’il faut L O N G U E M E N T penser maintenant… 

  12. Cher crânibus aquatique,

    Force est de constater que votre tri-marrant et son escorte de poètes luminescents ont aujourd’hui bien fière allure…  

    Ils ont apprit à naviguer avec superbe dans les flots de ce vieil Océan jonché de déchets organiques…

    La remontée dans vos filets de tentacules de poulpes et autres antennes de crustacés non vaccinés n’en est que plus miraculeuse…

     

    Surtout ne lâchez point le gouvernail sur cette fragile toile.

    Ne laissez point tisser à votre insu d’autres grands voiles.

     

    Jeu m’en retourne pour ma part

    puisque tel est mon saure

    fumer quelques harengs

    au fond de cette abysse

    où désormais repose mon âne en pet.

    Qu’on se rassure sur l’état de sa selle…

    Témoins de sa bonne santé

    sont ces bulles saines libérées,

    lesquelles rejoignent parfois à la surface

    un ciel d’azur

    qu’illumine Gertrude de son immense talent.

     

    Bien à toi JCV

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