Philippe Soupault. (rose)

RENCONTRE*

Philippe Soupault (1897-1990), photographié par Bérénice Abbott, 1928.

        Quand j’étais élève à l’école des Beaux-Arts, Philippe Soupault vint y donner une conférence. Nous vîmes arriver un très vieil homme au profil d’aigle. Il nous parla pendant deux heures avec passion et bienveillance de son extraordinaire parcours, ces longues mains noueuses comme des ceps de vigne posées devant lui.
        À la fin de son intervention, prise d’une impulsion soudaine, je surmontai ma timidité et m’approchai de lui. Du haut de mes vingt ans je lui racontai que j’avais lu les Chants de Maldoror une bonne dizaine de fois, que ce texte était pour moi une vraie révélation, que j’en connaissais des passages entiers par cœur.
          Je sais
que Philippe Soupault  m’écouta et me parla avec une grande douceur ; je me souviens surtout de la lumière de son regard et de la beauté de son sourire.
        Je sus à l’instant même, que je rencontrai cet être humain pour la première et la dernière fois de ma vie, que j’étais dramatiquement née trop tard.
      
        J’ai acheté, cet été, sur Internet le premier volet des Mémoires de Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, qu’il a écrit à l’âge de trente ans ; je n’ai pris connaissance de ce texte que ce mois-ci.


« Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire. »

*La Rencontre est un phénomène rare; cependant elle reste, je crois, ce qui advient de plus important et de plus déterminant dans une vie.

   
 Des êtres se rencontrent et une douce musique s’élève dans leurs coeurs.
Jens August Schade

Philippe Soupault.

 

        C’est à cette époque que je lus les Chants de Maldoror, qui demeurent pour moi la plus grande révélation.

        Isidore Ducasse. Ces quelques syllabes suffisent à me réconcilier pendant une heure avec moi-même. Il m’importe peu de découvrir, ici ou là, d’autres intercesseurs. Un seul suffit à un seul homme. On parle toujours de l’étoile, de la bonne ou de la mauvaise, d’un être : on ne parle pas d’un firmament. Il me semble que Lautréamont m’empêche d’admirer.
    Cette joie que tout à coup je recueille pour mes sens endormis est une joie sans qualificatif, une joie enfin que je désire et que j’attends. Lautréamont. Ô désespoir de ma vie, ma chère frontière, borne miraculeuse ! J’apprends grâce à lui à me décider à vivre, comme le dernier des crabes. Tout ce qui, autrefois, pinçait mon cœur et fouillait mon cerveau se fane et achève de mourir, sans même que j’y prenne garde.
(…)
        N’est-ce pas qu’il faut avoir du chagrin, beaucoup de chagrin parce que l’on est né trop tard ? Je me console de la mort de mon ami qui fut, dit-on, prématurée, mais non de ma naissance tardive… Il suffisait d’une seule génération. Me voici (moi et les autres) misérablement réduit à fouiller dans les souvenirs, à gratter les pages d’un livre. Un homme, un homme, est-ce que l’on rencontre cela si souvent ? Est-ce que vous en voyez beaucoup autour de vous ? Est-ce que la pourriture qui pue est si féconde ?
        Il faut chercher longtemps. Et lui vivait il y a à peine cinquante ans. Je suis arrivé trop tard et mon ami est mort. Il s’en fallait de trente ans ! Quelle tristesse d’être obligé d’imaginer la dernière crispation de cette bouche pour pouvoir se souvenir d’un visage moribond et chéri !
(…)
        Ce n’est pas à moi, ni à personne (entendez-vous, messieurs, qui sont mes témoins ?) de juger M. le Comte. On ne juge pas M. de Lautréamont. On le reconnaît au passage et on le salue jusqu’à terre. Je donne ma vie à celui ou à celle qui me le fera oublier à jamais.
        J’étais couché dans un lit d’hôpital lorsque je lus pour la première fois les Chants de Maldoror. C’était le 28 juin. Depuis ce jour-là personne ne m’a reconnu. Je ne sais plus moi-même si j’ai du cœur.
        « Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire. »

Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, Mémoires de l’Oubli. 1927

 

Philippe Soupault.

            La mort. Je répète ce mot. J’ai parfois senti son odeur sauvage comme celle qui s’échappe des triperies, j’ai entendu le claquement de son vol qu’on dit noir, j’ai vu la mort de près et je ne parviens pas à en être trop effrayé. Elle me paraît souvent n’avoir qu’une valeur d’échange. Ces mots que j’aime, la liberté ou la mort, sonnent dans mes oreilles. Je la préfère à beaucoup de buts qu’on m’a proposés en me disant qu’ils étaient beaux.
        Si je pense à elle sans dégoût, ce n’est pas parce que je crois à un au-delà quelconque, ce n’est pas non plus parce que je m’imagine qu’il existe ce qu’on nomme la postérité. Je songe banalement à un grand sommeil, large comme une plage d’océan.


Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, Mémoires de l’Oubli. 1927

Noire Judith.

JC, Judith (en noir et blanc), technique mixte sur photocopie, 21 x 29,7

Foutez-moi à la mer
mes amis
mes amis quand je mourrai
Ce n’est pas qu’elle soit belle
et qu’elle me plaise tant
mais elle refuse les traces
les saletés les croix les bannières
Elle est le vrai
silence et la vraie solitude

Philippe Soupault, La Bouée.

Dérive.

Peindre des coquillages
ou
la Dérive
comme procédé de Navigation.


Juliette Charpentier, aout 2008

Avertissement:

Attention, sympathique visiteur,
dans cette vidéo,
le Capitaine se laisse emporter
par les flots nostalgiques d’une introspection incontrôlée*.
Si vous ne voulez pas risquer de chavirer et
être complice de ce naufrage,
coupez le son!

*Les dernières lignes de ce texte ont été écrites le 13 aout 2008
à Beynac, en Dordogne, où reposent les cendres de mon père
qui aimait tant la mer et les bateaux.

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ANNIVERSAIRE!

8
Aout 2008

Une Déambulation du Capitaine le long des Hautes Rives de ses Dérives à la recherche des petites coquilles semées par le Hasard.
Soufflez la neuvième bougie :


Canopée n°5.

                La lumière, cette reine des couleurs qui se répand sur tout ce que nous voyons me flatte durant le jour par mille divers attraits, lors même que je pense à autre chose, et que je ne prends pas garde à elle: elle se glisse si avant dans nous et nous devient si agréable, que s’il arrive qu’elle nous soit tout d’un coup ravie, nous la cherchons avec ardeur, et notre esprit demeure triste si nous en sommes privés pour longtemps.

Saint Augustin, Confessions.

Topographie n°4.

Juliette Charpentier, Détail de Gertrude,
13 x 16 cm, mine de plomb.

                J’ai déjà une malle pleine de pièces et de râteliers. Vous ne pouvez croire quelle est ma joie lorsque seule je m’amuse à feuilleter ma collection. Dans mon boudoir, j’ai suspendu au plafond par un fil toute une mâchoire reconstituée. C’est merveilleux. Il m’arrive de la baiser sur les dents, après l’avoir fait se balancer comme un pendule. Moi seule sais quelle signification a ce sourire régulièrement déplacé qui finit par se tenir immobile. L’instant du repos est celui du baiser.

Georges Ribemont-Dessaignes, L’autruche aux yeux clos.