Vain sur vain : le journal du journal. Exception au Capitaine N°16.

 

 

 

 

 

 

La première hirondelle, le magnolia en fleur, les courses, la promenade du côté de l’étang, le jardin, les légumes du potager, le repas du dimanche, la lessive, les truites péchées par mon grand-père, les émissions télévisées…
Les oiseaux, les fleurs tiennent une grande place dans le journal de Jeanne, ma grand-mère, et une succession de petits riens d’un quotidien bien rempli à deux (mon grand-père Baptiste y est omniprésent) entrelacés à notre histoire familiale dont le moindre événement grand ou petit, carte, lettre, coup de fil, visite programmée ou impromptue est scrupuleusement consigné entre clafoutis et parties de scrabble ; dates oubliées mais ici remises à leur juste place dans une chronologie implacable qui force la mémoire.
N’oublions pas non plus les gens du village dont les trois quart ont été élèves de mes grands-parents instituteurs toute leur carrière dans la même école. Une succession de noms de personnes inconnues qui font vaguement écho à mes souvenirs pour les avoir entendus prononcés enfant. Pour mes grands-parents, pas un pas dehors sans les rencontrer et porter attention aux joies et maux de chacun, mariages, naissances et morts. Les anciens instituteurs sont respectés, écoutés, Ils se doivent de féliciter les heureux, consoler les endeuillés, se rendre à chaque enterrement (beaucoup d’enterrements), ma grand-mère tricote des petits chaussons et écrit des cartes de condoléances. Comme dans tous les petits bourgs, les histoires vont bons train. Ma grand-mère Jeanne les relate soigneusement comme tout le reste, avec parfois une pointe d’humour (ce qui la caractérise bien) mais sans aucune moquerie ni jugement si ce n’est force détails laissés à l’appréciation du lecteur.

La belle écriture serrée au français et à l’orthographe impeccables de celle qui est sortie très jeune major de sa promotion de l’École Normale, court ainsi sur les 1300 pages du journal qu’elle a tenu pendant trente ans jusqu’à sa mort.
Les premières années, ma grand-mère écrit dans les cahiers d’écoliers non utilisés (rien ne se perd). Les évènements y sont détaillées, certaines journées occupent plusieurs pages. Le récit va ensuite s’organiser de manière plus systématique dans les agendas de l’UNICEF qu’elle achète tous les ans. L’écriture s’adapte à la taille de la case consacrée au jour. S’il le faut elle s’amenuise, se condense, quelques abréviations apparaissent pour ne sacrifier aucune information au manque de place.

Trente ans de compte rendu quasi quotidien ; à quel moment de la journée écrivait-elle et pour quel regard ? Tout est noté (dans quel but ?), tout est dit en apparence pour le lecteur, que je suis à présent, mais rien n’est exprimé de son ressenti, de ses sentiments, de ses joies ou de ses angoisses.
Par exemple, rien ne transparait à travers les mots lors de la grave maladie de mon grand-père entrainant hospitalisation et intervention. Par pudeur (« nous ne sommes qu’une famille de petits instituteurs ») ou parce que les inscrire serait leur donner une réalité insoutenable, les évènements pénibles et la maladie ne sont jamais nommés ; par recoupement des paroles familiales, je les sais plus que je ne les lis. Seule l’écriture joue le sismographe des tremblements intérieurs du cœur bien caché de ma grand-mère, les mots hésitent, la graphie se trouble, pour se raffermir quand ça va mieux, quand la vie reprend son cours.

La dernière ligne écrite dans le journal est une note qui pourrait sembler anodine mais qui en dit peut-être long sur les difficultés de la vieillesse : un rappel du prochain passage de la personne qui vient faire le ménage et aider le couple dans ses tâches quotidiennes ; suit une liasse de pages blanches comme pour annoncer que quelques semaines après le cœur de ma grand-mère s’arrêterait.
Celui de mon grand-père, brisé par le chagrin, ne résistera pas très longtemps au manque de celle qui fut à ses côté pendant près de 70 ans.

Depuis quelques mois, je numérise l’énorme quantité de documents récupérés dans la maison de mes parents, photos, diapositives, correspondances et divers écrits dont le journal fleuve de ma grand-mère, autant d’éléments qui s’imbriquent les uns dans les autres pour reconstruire une temporalité familiale.

Sentiment indéfinissable que le mien quand je pose la dernière page du journal sur la vitre de mon scanner .
Vanité d’une entreprise qui fut la sienne, qui est la mienne.
J’ai entendu sa voix si familière dans ma mémoire sans pour autant percer l ‘énigme de son propos ni de ses motivations. Rester vivant ?
Cela me renvoie à ma propre finitude.

Qu’aurait-elle dit du drôle de journal où j’écris ces lignes aujourd’hui ?

Parallèlement à son journal Jeanne écrivait ses souvenirs et des bribes d’histoire familiales dans un carnet. J’évoquais déjà ce dernier en aout 2015.

Le globe du blog ou le Petit Verre* Vaniteux.

En des temps révolus, le globe du blog a joué cinquante fois l’Air de Paris* sur les résOs à présent résolus dans l’atmosphère contrôlée de son étagère urbaine.

Je vous invite a en découvrir toutes les facéties dans l’article suivant (cliquez ICI).

Le bois de son socle, jusque là amnésique des forêts lointaines, s’est gonflé d’orgueil sous la hache deux os corrézienne brisant le globe et laissant l’air sauvage du Cœur aise s’engouffrer dans son espace confiné.
La Crâneuse a sorti son or* pour mieux en mémoriser la fracture vaniteuse, faire du globe son Petit Verre* et déposer délicatement l’ombre éblouissante et nue de sa belle mariée* Gertrude pour une dernière et éternelle expOs.

*Références capillotractées à l’œuvre du grand Marcel Duchamp (Air de Paris et La Mariée mise à nu par ses célibataires, même dit Le Grand Verre.) ainsi qu’à l’art japonais du Kintsugi qui consiste à mettre en valeur à l’aide de laque et d’or les cassures des faïences et porcelaines plutôt qu’à les camoufler.

JC, février 2022, Le Petit Verre Vaniteux,
silhouette du crâne Gertrude découpée dans une feuille d’or, globe en verre, socle en bois, colle, vernis, feuille d’or. 14 x 14 x 28 cm.
(le globe a été brisé sous l’action du gonflement de son socle en bois dû à l’atmosphère humide de l’ancien moulin corrézien devenu l’atelier de JC.)

Cela fait exactement quatorze ans et deux mois que Gertrude s’expose et s’impose sans imploser derrière la vitre de votre écran. (Enfin je suppose…)

La théorie du crâne de chat rosse dingue*.


Cela fait exactement
quatorze ans et un mois
que Gertrude est enfermée
dans cette boite virtuelle
et que deux réalités
s’y superposent

Physiquement il est évident
que ce crâne est mort
mais quantitativement
après toute ces années
il semble bien vivant

Tutti quanti
il est trop tard
pour l’ouvrir
mais vous pouvez toujours essayer
de lui miauler
le Cantique des Cantiques


« Viens
Mon cœur t’appelle
Oui, viens que je t’emmène dans mon jardin
L’hiver s’en est allé
Viens, je t’aimerai

Lève-toi mon amie, ma toute belle
L’hiver s’en est allé, les fleurs s’éveillent
Vient le temps des chansons
Et des “je t’aime”
Entends, ce chant d’amour pour toi s’élève… »

Sachez que
rien ne se perd
rien ne se crée
tout se transforme

*Référence capillotractée à la théorie liée à la physique quantique dite du “Chat (mort-vivant) de Schrödinger.”

Opacité des Os pas cités.

La Crâneuse cherche la lumière
et mesure ainsi
les degrés d’opacité de l’Os
sans véritablement lui donner forme
si ce n’est celle de l’écran
où G se profile en triple je(u) projeté
sans se bruler aux feu(e)s
ni perdre toute lucidité

Cela fait exactement treize ans et six mois
que le Capitaine de ce Blog
vous cache quelque chose
trois fois plutôt qu’une


JC, juin 2021, Écrans de Crâneuse, crayon de couleur et acrylique sur papier calque et calque millimétré, colle, structures en bois doré et métal d’anciens « écrans à main* ». Chaque élément: 18 x 43 cm.

*L’écran à main, loin d’être un éventail pour battre de l’air, est un accessoire datant du XVIIIème siècle qui permettait aux dames de protéger leurs beaux visages fardés de l’ardeur du feu de cheminée.

Les contre-vanités de Gertrude.

Gertrude serait-elle une contre-vanité ?
Avec sa tête en os et ses faux airs de tête de mort, est-elle la mieux placée pour nous alerter sur les futilités de ce bas-monde face au néant ?
Ce reste humain, initialement destiné à la Science, instrumentalisé dans une démarche pseudo artistique, ne serait-il pas un simulacre de « memento mori » un « souviens-toi » de « ça été » plutôt que de « ce qui sera », une esquisse grossière de figuration de la mort dans le refus obstiné de correspondre au stéréotype du crâne?
L’os, quel qu’il soit, est un constat figé, un arrêt sur image dans le processus de décomposition du corps, une étape après la chair, après la peau, après tout ce qui donne physionomie, après tout ce qui dégouline. Contempler son immobilité, sa minéralité, sa face aveugle et sans histoire, revient à se dispenser de toute digression sur le véritable travail de la mort, à s’aveugler sur la défaite en marche de l’être.

La vanité est ailleurs :
Elle est peut-être dans l’acte de peindre…
Elle est peut-être dans ce texte…
Elle est peut-être dans cette photographie…

Photographie numérique montrant l’atelier de JC.

Cela fait exactement douze ans et onze mois que Gertrude se la joue mortelle sur Internet.

Gertrude au charbon.

Douze ans et deux mois
il est temps
de remettre l’Os au charbon

Photographie noir et blanc où nous voyons au premier plan, éparpillées sur une surface grise, quelques esquisses au fusain représentant le crâne Gertrude, trois crayons de fusain et une estompe. Au deuxième plan, posée sur la même surface à gauche, nous reconnaissons Gertrude vue de trois quart dos. Reflétant la face du crâne et une part de la silhouette de la crâneuse photographe ainsi que la porte fenêtre située derrière elle, source de lumière, la petite vitrine entrouverte dans laquelle Gertrude est rangée habituellement à l’abri de la poussière. Enfin à droite de l’image au fond, une autre porte fenêtre dont les vitres jouent également à refléter la lumière et dont la poignée en porcelaine rappelle une des industries traditionnelles du Limousin.

UNE et tri sans chair*.

Il y a de cela onze ans et dix mois
j’eus l’idée sans queue ni chair
(mais avec tête)
de faire de Gertrude
la plus traitresse des images*

Photographie numérique retravaillée en noir et blanc et recadrée, montrant une installation composée ainsi : Une chaise de l’ébéniste Michael Thonet vue de manière frontale, placée sur un plancher de bois brut et adossée à un mur de pierre blanchi à la chaux. Sur l’assise de la chaise est posé un crâne humain, celui de Gertrude, positionné de trois-quarts dos, et sur son dossier, face à nous est collée une feuille de papier blanc rectangulaire de format allongé et horizontal sur laquelle sont imprimés en majuscule et en police Arial taille 80 les mots « CONCEPT CHAIR »*. À gauche de la chaise, face à nous, est accrochée sur le mur l’impression sur papier glacé au format presque carré d’une photographie numérique couleur représentant le crâne de Gertrude dans la même position que le crâne posé sur la chaise. En bas de la photographie, et dépassant légèrement de chaque côté, est collée une bande de papier dessin blanc sur laquelle est tracée en lettres cursives au crayon à papier 6B la phrase « Ceci n’est pas un crane »* ; l’accent circonflexe sur le mot « crane » semble avoir été oublié, ou, s’il n’a pas été oublié, le terme joue alors de l’ambiguïté entre le mot « crâne » et le mot anglais « crane » qui signifie « grue ». À droite de la chaise, face à nous, est fixée au mur dans le sens horizontal une feuille de papier blanc rectangulaire sur laquelle est imprimé un texte concernant la place de Gertrude dans la pratique plastique de Juliette Charpentier. La première ligne est imprimée en police Arial taille 72, les suivantes sont de taille décroissante de 48 à 12, ce qui rend le texte peu lisible dans sa totalité. L’ensemble de l’installation ne paraît répondre à aucune rigueur mathématique : la ligne de séparation entre le plancher et le mur n’est pas horizontale, la chaise n’est pas vraiment parallèle au mur, le crâne est de travers, les feuilles de papier penchent.

 

*Encore quelques références capillotractées, même si Gertrude n’a pas un poil sur le caillou.

 

L’Os-curité ou Gertrudomètre N°23.

Cela fait à présent onze ans et un mois
que La Capitaine Crâneuse
navigue à vue dans d’obscurs projets
pour trouver enfin l’idée lumineuse
qui rassemblera de manière cohérente
les moyens du bord de l’Os.

JC, janvier 2019, L’Os-curité ou Gertrudomètre N°23, Ampoule défectueuse, éléments électriques indéterminés, fragment de chaine, grelot en aluminium, lettre G en métal, brin de fil rouge, colle : Objets divers issus de la boite à bricolage de JC.

Cela pourrait se résumer ainsi :
« G cherchait la lumière, mais J suis allumée en trichant chaque jour sous le poids de mes chênes tout en restant branchée pour faire un peu de bruit et garder le Fil. »

Vous trouvez ça absurde?
Moi aussi.

Rien n’était prévu,
mais rien ne sera laissé au hasard.