Ou comment
une bouteille jetée
sur l’amer à Marseille
se retrouve mise en Seine à
Paris
Cette Bouteille à jeter sur l’amer a été réalisée par Plaiethore pour le Capitaine de ce blog
« Cette Bouteille à jeter sur l’amer est une Liberté, totale. Car jetée ou non, elle est le Symbole de ce qui ne peut mourir. »
Une bouteille… Cette bouteille.
Ronde et pas très grande, adaptée au creux de mes mains, juste assez bouteille pour évoquer un bu oublié, juste assez flacon pour laisser flotter une ivresse parfumée.
La bouteille est fermée, scellée.
Son ouverture est hermétique au regard, enrobée de cire ; mon œil, butant sur ce goulot sans issu, est pris dans la glu d’une mate opacité.
La coulure prend la bouteille au col, dans un envahissement qui me signale l’éphémère de ma vision ; elle s’arrête à temps , suspendue au-dessus de mes ténèbres à venir, me noyant des effluves de la combustion d’une flamme éteinte.
Mais la clarté du verre lui livre une lutte sans merci, offrant sa minéralité transparente à l’informe de la paraffine.
Les lueurs fumées où courent les insaisissables diffractions soufflées par sa naissance se jouent du noir durci dans une solidité dérisoire.
La bouteille bien droite, fière de ses épaules et de sa tournure irréprochable, fait fi du nuage noir de la tempête qui s’annonce .
Elle se vêt en petite écolière d’une étiquette sage, calligraphiée à l’encre de pupitre; les lignes consciencieuses annoncent en lettres rondes et innocentes l’indicible du contenu, et la docilité des caractères délivrent toute la déraison de l’espace qu’ils semblent délimiter dans l’évidence de leur délié.
Le verre est la frontière ; ce millimètre de verre me sépare d’un espace à jamais coupé du mien, espace minuscule d’atmosphère enfermée, ouvert aux infinis possibles, espace scellé si loin, mais là, dans mes mains.
La bouteille tourne, sans cesse retournée entre mes doigts ; j’en perçois le poids, la stabilité, la forme parfaite qui contient cet air capturé en un instant dont je n’aurai jamais l’instantané.
Ce lieu inaccessible présente ses desseins dans la lumière tout en dérobant à ma frustration l’aboutissement d’un toucher.
Mes sens s’arrêtant au lissé du verre, lâchent mon émotion dans ces quelques centimètres cubes d’infini qui se dilatent autour des deux objets exposés au centre de la bouteille.
Si visibles, si offerts et pourtant si peu montrés : deux rouleaux occupent la scène, l’emplissent de leur présence tout en gardant dans leurs replis leur indéfectible secret.
L’un roide et contraint, au papier serré, noué d’une noire faveur, vibre d’une sombre écriture à la plume incisive, signes pressés d’une colère enfouie dans la spirale des maux, douloureux et étouffé comme le mal.
L’autre protégé, lové, niché dans la douceur de la soie, perlé de nacre à chaque extrémité, enrubanné de lumière, s’abandonne dans la mollesse confiante de sa blanche innocence, abolissant d’un souffle d’ailes toute noirceur d’encre.
Ces deux-là sont destinés, inexorablement, à une étreinte douce-amère, que jamais personne ne pourra démêler.
Je sais, Âmi Plaiethore, qu’un peu de vous est là, dans cette bouteille, que, dans cette espace libre à jamais, un petit bout de votre âme palpite pour toucher la mienne ; je devine chaque geste accompagnant la splendeur de ce message, les pensées qui en composent la moindre parcelle.
Je sais surtout que dans cet impossible contact, dans cette infinie coïncidence, se constitue notre inévitable rencontre.
Pour vous, Plaiethore, cette dérive sur l’os séant, la musique du ressac de l’amer…
Juliette Charpentier
Paris
22 janvier 2011
Sainte Gertrude
se manifeste sur
gertruderose