JC, Pinceau gertrudisé, motifs tamponnés à l’acrylique sur papier de soie, pinceau usagé.
La répétition du même motif n’est pas quelque chose de nouveau dans ma pratique.
Enfant, je dessinais des « usines à poulets », des enchainements sans fin de machines, d’engrenages, de tapis roulants, de rouages autour desquels s’activaient sans relâche des volatiles à crêtes hérissés et aux pattes grêles.
Je me souviens très bien du plaisir que j’éprouvais à détailler cette activité et à remplir la surface du papier de toutes les possibilités articulatoires que m’offrait le système jusqu’à celle de continuer sur une autre feuille. Je ne pense pas m’être ennuyée une seule fois à en dessiner les combinaisons répétitives et il me semble avoir poursuivi cette marotte un certain nombre d’années.
À l’âge adulte, alors que je commençais à acquérir une pratique de peintre à l’École des Beaux-arts, j’ai très vite retrouvé cette jubilation de la répétition.
Il est une période antérieure aux épisodes abordés précédemment dans ce blog (cliquez ici, ici et là), où je pris véritablement conscience du pouvoir de renouvellement de la répétition, ainsi que de sa capacité à provoquer le surgissement de phénomènes nouveaux.
Je mélangeais alors autoportraits et motifs décoratifs (parfois « empruntés » à ceux si beaux d’Henri Matisse). Je travaillais avec des pigments mélangés à de la paraffine que je faisais chauffer, et que je devais appliquer immédiatement sur le support avant qu’elle ne fige.
Très vite, je me désintéressai de l’aspect « autoportrait » pour ne plus peindre ainsi que des motifs décoratifs. L’intérêt de cette peinture abstraite, répétitive en all-over, associée au procédé de la cire, était qu’elle révélait brutalement la surface du support avec une grande matérialité en s’affirmant autant en fond qu’en forme ; ces derniers se retrouvant à égalité dans la « lecture » du motif sans aucune hiérarchie.
Ce fut pour moi une vraie révélation de peintre, car entre ce fond et cette forme juxtaposés sur le même plan, surgissait un nouvel espace, un interstice de jonction qui respirait au gré de mon geste répété mais chaque fois renouvelé ; une sorte de fontanelle mouvante en promesse de devenir dont la sensation (que j’attribue, peut-être à tort à tout phénomène de picturalité) ne m’a plus jamais quittée et m’a convaincue à jamais qu’il était inutile « d’inventer » de nouvelles formes pour renouveler la peinture ; que cette dernière s’alimentait d’elle-même des infimes et infinis décalages que la picturalité était susceptible de générer.
Le constat peut paraître évident, voire banal, mais je sais qu’il faut non seulement en faire l’expérience mais aussi avoir ce « déclic » de la vision pour le prendre à son compte.
On pourrait penser que l’activité Gertrude échappe à cette voie de peinture dans laquelle je prétends m’être engagée depuis plus de trente ans.
J’ai pu le croire aussi quand, exhumant Gertrude de l’oubli il y a sept-huit ans, j’eus l’ambition de lui « inventer » ou lui « redécouvrir » une histoire, un passé, une mémoire. Mon activité aurait pu ainsi basculer du côté de l’imagerie d’une fiction, peut-être en a-t-elle parfois titillé les limites.
Mais Gertrude au fil des années s’est révélée un motif puissant, bien plus puissant que son « histoire ». Gertrude, malgré mes résolutions, mise en avant comme sujet, est restée objet. Elle a même renforcé sa qualité d’objet en me désignant, moi, comme sujet.
Certes, la pratique concrète de la peinture est particulièrement mise à distance dans cette aventure, mais contre toute attente, je reste plus que jamais le peintre, le peintre de Gertrude, le seul autoproclamé dont Gertrude est la motivation, le motif/modèle, le motif répétitif.
Malgré une assez grande variété de mises en œuvre, le motif Gertrude, de point de vue littéral, se limite à quelques représentations de face et de profil, dessins, peintures, modifications infographiques dont les modèles ne sont, ni plus ni moins, que les quelques photographies de départ que j’ai réalisées du crâne de Gertrude.
L’utilisation de ces représentations dans des réalisations plus ou moins farfelues, au gré des mes envies, des rencontres, des circonstances ont fait de Gertrude une image, qui bien sûr, lui reste propre, étant toujours celle de sa « physionomie » unique, mais qui se vide peu à peu de sens en flirtant avec celle stéréotypée et très à la mode de la tête de mort.
On peut ainsi autant se questionner sur les capacités « décoratives » de Gertrude dans la composition d’objets/bricolages qui, souvent, n’ont plus grand chose à voir avec une « mémoire gertrudienne » que sur celles à « jouer » à l’infini les « vanités » en tant que « reste humain » et à déranger ainsi les petits arrangements d’une plasticienne dilettante qui n’a ni le temps ni le courage de combattre en peinture.
Gertrude, ainsi, se répète sans en avoir l’air, n’abordant de front ni la mort, ni elle-même, ni moi, effleurant la surface des choses en restant chose. Quant à moi, je procrastine une peinture à laquelle je consacrerai tout mon temps quand je l’aurai et quand il sera temps et pas trop tard, et où, enfin, je ferai surgir entre Gertrude et le fond qu’elle trimballe la vérité de sa vraie nature.
Juliette Charpentier, Paris, le 9 avril 2014
JC, 1983, autoportrait et motifs décoratifs, pigments et parafine sur contreplaqué
espèce de … espèce de … espèce de …
BOURREAU DE POULETS !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Vous dessiniez des « usines à poulet » !!!………………..Je suis effarée………….
il faut bien des usines pour produire assez de poulets
vu l’appétit féroce de notre « chair Gertrude »
qui ne laisse que des squelettes de tous ceux qu’elle dévore.
Mes poulets étaient bien plus beaux que ça!
Mais ils étaient chefs d’entreprise, nuance!
Encore une fois ce n’était pas les poulets qui étaient les produits!
Bon Anniversaire !!!
Vous mangez du poulet ce soir ?….Moi qui pensais que vous étiez une sauvagesse, et voilà que je vous découvre …à la tête d’une usine à chair de poule……
Merci!
J’aime le poulet quand il a vécu heureux en liberté au bon air et non quand il sort de l’usine.
Me voici définitivement grillée (comme le poulet) auprès de certaine connaissance passée que nous avions en commun, très chair!
MAIS VOYONS! LE TRIBLOG DE GERTRUDE EST DÉJÀ UNE IMMENSE USINE À CRÂNES!!!!!! AVEC OS ET GAZ À TOUS LES ÉTAGES!
Non, promis, je cours voir ça! 🙂
Oh! ça….oui , c’est sûr…J’imagine déjà la tête de cette personne…
Quant à la chapelle des crânes d’Evora…elle est très célèbre pour ses crânes en effet,je pensais que vous la connaissiez de réputation…:)
Je suis bien contente de ne pas tout connaitre!
Certes ,et heureusement qu’il reste à découvrir !
Comme une bande de petites souris qui cachent bien leurs jeux d’os! vous gâtez votre crâneuse!
…..
Je vais vous effarer : j’ai été chef d’entreprise de constructions en bois d’usines à poulets en vrai !
MAIS C’EST QUOI CETTE FIXETTE SUR LES POULETS??????????
Vous n’avez pas remarqué que j’ai écrit plein d’autres trucs???? Oui, je sais c’est vain.
Je suis ravie que vous aussi vous ayez eu votre période « usine à poulet ».
Ah si ! Il y a un lien : la répétition du motif « poulets » dans les commentaires.
C’est à se demander pourquoi on se décarcasse (de poulet !)
Niveau carcasse, vous parlez pour moi ou pour mes interlocuteurs?
Les deux mon capitaine ! (vous l’avez cherché…)
Me voici plumée, tant pis pour moi!
Connaissez-vous l’usine à crânes d’ Evora au Portugal dans la capela dos ossos de San Sao Francesco ?Je pense que cela doit vous séduire autant que les poulets.
Très intéressant ton texte, je vois que tu n’as pas seulement un talent artistique, mais aussi littéraire.
Je me rappelle de tes autoportraits au Beaux-arts mais je me souviens d’un travail plus hyper réaliste !!
Comme quoi les souvenirs !
Merci Évelyne de passer me voir dans le blog de Gertrude! C’est vrai que ça fait loin tout ça maintenant!
Il s’est passé de drôles de trucs en bas de ton commentaire; surement un bug de blog!