JOYEUX NOËL!
Dédié à Hécate!
Magnifique photographie d’Hécate enfant. Merci de cette belle image de Noël.
Cinq ans et cinq mois de Web
cela vaut bien un interlude en pensées
et un hommage à
Marguerite
Les Pensées en pétales d’amitié
de Marguerite
pour une tête d’os à la pensée évaporée
Promesses poétiques
pour panser le noir d’hiver
et penser le bleu de l’été
Promesses de printemps
Pétales de pensée, collage, dessins, textes réalisés par Marguerite pour Le Capitaine. Marguerite est membre actif de l’éminente Société Française d’Illustration Botanique.
Gertrude rose et Gertrude noire
se planquent dans les fleurs
en attendant le printemps.
Ceci est bien réel !
JC, avril 2013, Pique-Gertrude n°6 (collection particulière), canevas, fil, satin, rembourrage synthétique, 3 x 9 x 9 cm.
D’habitude Gertrude expose
les effets de sa matérialité
de manière virtuelle.
Aujourd’hui elle expose
les effets du virtuel
dans un lieu très matériel,
surplombant l’Enfer,
entre les sept péchés capitaux
et le Coin des Hasards.
Il serait tout à fait inapproprié et réducteur,
en ces courants d’air impalpables d’Internet,
de vous conter quoi que ce soit
de la réalité de cet espace
et des belles rencontres qui s’y font.
Aussi, chers amis,
où que vous soyez dans votre réalité,
je vous laisse à votre imaginaire.
Et si vous êtes encore en ligne,
allez donc lire l’histoire incroyable
d’une disparue à la raison décapitée
et au calepin bien rempli,
qui flotte entre les eaux du virtuel
et les ossements du réel :
Le Calepin de Dolorès Machefort
par le Maître sérialblogueur
Sébastien Armengol.
Aujourd’hui 27 mai 2012*,
je dédie cet article à Mathieu Simonet, écrivain.
Gertrude et Juliette, vues de dos à vingt ans.
Je ne voulais pas lire celui-là et pourtant c’est bien celui-là que j’ai acheté.
Il y a environ quatre semaines, je suis entrée dans une librairie parisienne, je cherchais Les Carnets blancs de Mathieu Simonet1 ; je ne les ai pas trouvés, mais j’ai trouvé La Maternité2, celui que je ne voulais surtout pas lire. Curieusement je n’ai pas cherché plus loin, j’ai donc acheté La Maternité.
Le livre est resté deux semaines dans sa poche plastique, posé sur une chaise dans le couloir de mon appartement. Puis j’ai fini par le sortir ; je l’ai posé sur ma table de chevet à côté de mon lit. Je le regardais tous les soirs sans l’ouvrir : blanc, lisse, cerné de rouge, comme un faire-part de deuil qui se serait trompé de couleur. Je n’avais même pas lu la quatrième de couverture, je savais ce que le livre contenait et j’avais peur de l’ouvrir.
Pendant quinze jours, j’ai relu Marguerite Duras : je lisais La Vie tranquille et je gardais le livre de Mathieu Simonet à côté de moi.
Il y a deux jours, je l’ai enfin ouvert: je l’ai lu d’un trait presque sans respirer. Le texte respirait pour moi, souffle par souffle, touche par touche. Je suis descendue tout au fond, de marche en marche, de palier en palier; j’ai plongé sans retour. J’ai déchiffré, presque prononcé tout haut, ce mot « Maman » scandé au fil brisé du texte, comme pour morceler un peu plus cette écriture qui s’égrène comme le temps, simple, plaçant l’émotion et le factuel médical au même niveau d’asepsie.
Mathieu Simonet écrit la mort de sa mère, la maladie et les derniers instants ; sans détours si ce n’est ceux de la mémoire qui fait des boucles jusqu’à en boucler le cycle de l’existence. Il nous livre cet amour absolu et intime entre un fils et sa mère sans nous inviter une seule fois à quelque compassion.
Je pense aux « Derniers portraits », à L’enfant malade de Munch, à Valentine peinte par Ferdinand Hodler.
Je lis les lignes de Mathieu Simonet et la peur m’abandonne, j’ai pourtant failli m’y abandonner…
Et je n’aurais jamais dû les lire, car je ne connais pas Mathieu Simonet. Quelques semaines auparavant, je n’avais aucune idée de son existence, je n’avais jamais entendu parler de cet auteur.
J’ai juste reçu un courriel vers le vingt avril, transmis par une amie ;
le courriel écrit par un certain Mathieu Simonet était adressé à un groupe de personnes et proposait une expérience, presque une performance : il s’agissait d’aller visiter l’exposition « Intense Proximité » au Palais de Tokyo3 en compagnie d’un(e) inconnu(e) (tiré(e) au sort par Mathieu Simonet) et de lui tenir la main (minimum pendant une minute) lors de la visite. Le rendez-vous et les modalités de la rencontre devaient être fixés par SMS.
Puis, pour le lendemain au plus tard, il fallait écrire et envoyer un texte sur l’expérience. Mathieu Simonet utiliserait des fragments des textes dans un article pour le Magazine Littéraire.
Je ne faisais pas partie de la liste de diffusion de départ, mais je posai ma candidature, étant munie de l’essentiel pour y participer, c’est-à-dire d’Internet, d’un téléphone portable, d’assez de curiosité pour jouer le jeu de l’inconnu ou le jeu (virtuel) d’un inconnu, et surtout de suffisamment de peur de « l’intense proximité » qu’impliquait ce contact physique et réel de la main d’un(e) inconnu(e).
Je participai donc à l’expérience. Voici le texte que j’envoyai à Mathieu Simonet :
Des expositions, j’en ai vues, avec des inconnus j’en ai visitées, je n’étais jamais venue dans une exposition pour tenir la main d’un(e) inconnu(e).
De cet(te) inconnu(e) je ne dirai rien car ma main garde bien mieux que les mots le souvenir de cette étrange intimité.
De la visite de l’exposition, je ne retiens que les tiraillements de mes sensations, la polarisation de mon attention sur ces quelques centimètres carrés de peau contre une autre peau, mon regard comme « shunté » par ce contact de paumes qui le temps du parcours s’est imposé comme interface entre le Monde et moi.
Homme ou femme, jeune ou vieux, qu’importe ; seul le trouble de cette « proximité » de l’autre, dont je ne sais rien ou presque, persiste à mon réveil à chaud, en ce lendemain… sans distance.
Tout a commencé comme une histoire d’amour, pas de celles que l’on vit, mais de celles que l’on raconte ou que l’on se raconte ; presque un roman pour midinette.
Tout est là pour réveiller la petite chose palpitante, cette émotion mièvre et un peu honteuse prête à céder à quelque stratégie du facétieux entremetteur, à se laisser aller au jeu de l’amour et du hasard : instructions, petits messages et mystères suspendus à l’attente de la Rencontre…
La proposition est ciselée au détail près, détail qui en fait basculer toute banalité ; elle va jusqu’à préciser l’imprécision sans l’imposer : Tenez vous la main une minute ou … ? Le doute est terrible et se mue en sentiment : M’aimerez-vous assez pour me tenir la main ? La minute réglementaire sera-t-elle la limite de notre amour ou de notre détestation ? Ou pire, sera-elle le temps imparti à notre indifférence ?
Prendre la main de l’autre devient alors un acte conscient, d’autant plus charnel qu’il est cérébral. Acte qui scelle un pas et un regard siamois, parallèle mais pas forcément conjoint, un abord ensemble mais pas obligatoirement concerté de l’espace et des choses. Promenade côte-à-côte, main à main, qui tente d’intégrer les signes extérieurs, d’objectiver son but, dans le circuit d’une double subjectivité qui tend au face-à-face. Le « nous » se noue et se dénoue au gré de cette recherche de distance essentielle à son équilibre.
Et, à mesure que « notre » proximité prend de l’assurance dans un parcours dont nous finissons par accepter l’indécision et les repentirs sur lui-même, et que nous cherchons les connivences que tissent et doivent tisser les objets exposés entre eux et avec notre couple improbable, notre regard, soudain, se retourne : des œuvres il glisse vers ceux qui les regardent, puis vers ceux qui nous regardent.
Nous ne regardons plus, nous sommes regardé(e)s ; de sujets regardeurs nous devenons objets de regard et nous sommes fier(e)s de nos mains jointes et manifestes, de ce sentiment partagé, de cette histoire d’amour racontée par les yeux des autres.
Histoire d’une proximité, jouée et exposée en un lieu et un temps par un tiers qui, lui, se tient à distance et sera le seul apte à mesurer l’expérience.
Il s’agit en effet de comprendre à quel point un tel dispositif, autorisant le trouble de l’intimité, forçant la proximité et faussant les distances, permet d’aborder les infimes subtilités de cette exposition ; une exposition qui, à travers un choix d’objets allant du domaine ethnologique à une certaine expression hors frontières, se donne à voir plus dans « l’entre » et l’interstice que dans le factuel, plus dans la surface parfois grinçante et aveugle des contacts que dans le visible, plus dans la dissonance de ses accords que dans l’harmonie d’un bel accrochage…
Mais ceci ferait l’objet d’un autre texte…
Merci à Mathieu Simonet.
Juliette Charpentier, Paris, 22/04/12
L’article de Mathieu Simonet, en relation avec cette expérience, est publié dans le Magazine Littéraire4 du mois de Juin sous le titre Duos en Triennale.
Quant à moi, je referme le livre La Maternité, un mois après avoir vécu cette aventure.
Ce vingt et un avril, je n’ai pas seulement tenu la main de Polina le temps de la visite, je crois aussi avoir accompagné Mathieu au Palais de Tokyo comme sa mère a pu le faire auparavant. Je pourrais avoir le même âge que cette « maman » qui, avant de mourir, écrivait des textes sur son enfance à son fils, comme une ultime transmission.
À présent la lecture et la visite se confondent comme un même et seul acte ; je prends acte de cette continuité, de cette « intense proximité », d’autant plus intense qu’elle se produit avec l’inconnu.
Juliette Charpentier, 27 mai 2012
1- http://mathieusimonet.com/sommaire.html
et http://matthieux.blog.lemonde.fr
2- http://www.mathieusimonet.com/Mathieu_Simonet_-_Site_officiel.html
3- http://www.palaisdetokyo.com
4- http://www.magazine-litteraire.com
* Quand j’ai publié cet article, j’ai envoyé un courriel à Mathieu Simonet pour lui en signaler la parution; il m’a dit que le 27 mai était le jour de son anniversaire.
Cézanne par Mézigue:
Le Capitaine risque la croûte
en fromage à Cézanne.
Des vertus de la vision daltonienne et de l’approche couillarde sur les révélations de
La Vérité en Peinture :
Cassez vos bésicles et écartelez-vous l’œil sur la résistance du Maître.
Mesurez l’écart entre le Modèle et ses représentations.
Rouge à babord, vert à tribord,
gardez le cap
de la Sainte Victoire.
Article dédié à V. remarquable oculiste, promeneur daltonien sans adhérence.
le-blog-a-vincent.blogspot.com
&
sites.google.com/a/excentric-news.info/sous-le-clavier/accueil/cezanne
JC, 2011, Cézanne par Mézigue, Huile sur toile d’après Nature morte, crâne et chandelier de Paul Cézanne, ancienne paire de lunettes cassée du Capitaine, chaînettte en métal, photographie numérique, 16 x 22 cm
Quel que soit le maître que vous préfériez, ce ne doit être pour vous qu’une orientation. Sans cela, vous ne seriez qu’un pasticheur.
Paul Cézanne, Lettre à Charles Camoin, décembre 1904
Et petit clin d’oeil amical à JK, si elle passe.
Cela fait trois ans et demi
que Gertrude est en ligne.
Commencerait-elle à s’encroûter?
Gertrude Rose
casse la croûte
Gertrude Noire
croque la Pomme
Ou comment
une bouteille jetée
sur l’amer à Marseille
se retrouve mise en Seine à
Paris
Cette Bouteille à jeter sur l’amer a été réalisée par Plaiethore pour le Capitaine de ce blog
« Cette Bouteille à jeter sur l’amer est une Liberté, totale. Car jetée ou non, elle est le Symbole de ce qui ne peut mourir. »
Une bouteille… Cette bouteille.
Ronde et pas très grande, adaptée au creux de mes mains, juste assez bouteille pour évoquer un bu oublié, juste assez flacon pour laisser flotter une ivresse parfumée.
La bouteille est fermée, scellée.
Son ouverture est hermétique au regard, enrobée de cire ; mon œil, butant sur ce goulot sans issu, est pris dans la glu d’une mate opacité.
La coulure prend la bouteille au col, dans un envahissement qui me signale l’éphémère de ma vision ; elle s’arrête à temps , suspendue au-dessus de mes ténèbres à venir, me noyant des effluves de la combustion d’une flamme éteinte.
Mais la clarté du verre lui livre une lutte sans merci, offrant sa minéralité transparente à l’informe de la paraffine.
Les lueurs fumées où courent les insaisissables diffractions soufflées par sa naissance se jouent du noir durci dans une solidité dérisoire.
La bouteille bien droite, fière de ses épaules et de sa tournure irréprochable, fait fi du nuage noir de la tempête qui s’annonce .
Elle se vêt en petite écolière d’une étiquette sage, calligraphiée à l’encre de pupitre; les lignes consciencieuses annoncent en lettres rondes et innocentes l’indicible du contenu, et la docilité des caractères délivrent toute la déraison de l’espace qu’ils semblent délimiter dans l’évidence de leur délié.
Le verre est la frontière ; ce millimètre de verre me sépare d’un espace à jamais coupé du mien, espace minuscule d’atmosphère enfermée, ouvert aux infinis possibles, espace scellé si loin, mais là, dans mes mains.
La bouteille tourne, sans cesse retournée entre mes doigts ; j’en perçois le poids, la stabilité, la forme parfaite qui contient cet air capturé en un instant dont je n’aurai jamais l’instantané.
Ce lieu inaccessible présente ses desseins dans la lumière tout en dérobant à ma frustration l’aboutissement d’un toucher.
Mes sens s’arrêtant au lissé du verre, lâchent mon émotion dans ces quelques centimètres cubes d’infini qui se dilatent autour des deux objets exposés au centre de la bouteille.
Si visibles, si offerts et pourtant si peu montrés : deux rouleaux occupent la scène, l’emplissent de leur présence tout en gardant dans leurs replis leur indéfectible secret.
L’un roide et contraint, au papier serré, noué d’une noire faveur, vibre d’une sombre écriture à la plume incisive, signes pressés d’une colère enfouie dans la spirale des maux, douloureux et étouffé comme le mal.
L’autre protégé, lové, niché dans la douceur de la soie, perlé de nacre à chaque extrémité, enrubanné de lumière, s’abandonne dans la mollesse confiante de sa blanche innocence, abolissant d’un souffle d’ailes toute noirceur d’encre.
Ces deux-là sont destinés, inexorablement, à une étreinte douce-amère, que jamais personne ne pourra démêler.
Je sais, Âmi Plaiethore, qu’un peu de vous est là, dans cette bouteille, que, dans cette espace libre à jamais, un petit bout de votre âme palpite pour toucher la mienne ; je devine chaque geste accompagnant la splendeur de ce message, les pensées qui en composent la moindre parcelle.
Je sais surtout que dans cet impossible contact, dans cette infinie coïncidence, se constitue notre inévitable rencontre.
Pour vous, Plaiethore, cette dérive sur l’os séant, la musique du ressac de l’amer…
Juliette Charpentier
Paris
22 janvier 2011
Sainte Gertrude
se manifeste sur
gertruderose
Gertrude se fait belle Tourangelle
De ce lin délicat coiffant son chef défunt
Sous le fil aérien
Murmure son passé de brodeuse
Gertrude est née à Tours
Rendue à la vie
Par Tours de Magicienne
Son destin perdu se mêle aux héritages
Du temps arrêté les parfums d’antan s’écoulent
Réchauffent les amours oubliées
Gertrude est morte coiffée
Gertrude offre sa chemise N°5
à la Mercière
Elle l’a boutonnée d’Os
et cousue
du Fil des artères ancestrales
JC, mai 2010, Coeur de Mercière, collection particulière, Fil DMC N°498 , peinture à l’huile, vernis, argile, éprouvette, toile sur medium, 3 x 20 x 20 cm (Seule la Mercière pourra la déboutonner…)
Plaque de boutons de rechange, collection particulière, huile, argile, fil, carton, 7 x 9 cm.
Gertrude et Albert
vont au Vernissage.
Gertrude et Albert se rendent ensemble au vernissage de l’exposition des peintures de Lucian Freud* au Centre Pompidou.
Je tiens à préciser tout de suite que toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes serait fortuite et tomberait comme un poil de fesse sur un os à moelle.
Il se trouve juste par le plus grand des hasards (mais le chemin de Gertrude est toujours semé de hasard, sinon il ne serait pas) que « Gertrude » est aussi le prénom d’une grande collectionneuse d’Art, et « Albert » celui d’un très grand scientifique. La rumeur dit que la première était carrément (même cubiquement ) folle au point de miser sur des peintres tordus dont le nom commence par P, et que le deuxième était un surdoué autiste qui s’exprimait en un langage codé tout à fait relatif.
Bon, je m’égare…
Cela pour vous dire que Gertrude, que je ne vous présente plus, a rencontré Albert lors d’un vernissage de broderies vaniteuses en septembre 2009 et s’est adonnée depuis, avec lui, à quelques exercices d’anatomie comparée (aussi ici et ici).
Albert, coutumier de ce genre de manifestations culturelles, a donc invité Gertrude au Vernissage, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit d’un vernissage pour V.I.P. (Vrais Impotents de la Peinture).
Vous pensez bien que Gertrude est fière ; elle a même mis un peu de poudre pour se rosir l’os, tant elle n’a pas l’habitude de briller en société. Elle est d’ailleurs très impressionnée, non seulement de constater qu’Albert a réellement la carte ad hoc pour pénétrer dans ce cercle très fermé (avec portes blindées intégrées) mais aussi de se trouver en présence d’une foule de V.I. de la Presse ainsi que de V.I. de la Politique.
Tout ce beau monde se bouscule en rangs serrés et Gertrude a beaucoup de difficultés à rassembler ses esprits animaux et à réemboîter ses mandibules, pour ne pas sombrer dans une monomaniaquerie ethnologique délétère, si chère à ses vices de misanthrope mais susceptible de lui boucher les orbites et lui faire rater l’essentiel, à savoir la Peinture. Et ceci malgré son admiration inconditionnelle pour Claude Levi-Strauss, le chantre du Bricolage et de l’observation de la Nature humaine.
Mais la Peinture l’attend, terriblement présente, invraisemblablement dégueulante, puante de splendeur, terrifiante et magnifique.
Elle est là, tout simplement partout, dans ces ventres abandonnés, dans ces cuisses endormies, ces mains sans complaisance, ses plantes pourrissantes ; elle rampe sous la peau des murs, dans les fleurs de la couverture, dans les tas de chiffons ; débordant des canapés défoncés et des lits naufragés, elle attire le regard dans une vertigineuse plongée, pour l’achever à coup de lattes abstraites tout en bas d’un parquet à la Caillebotte. Puis comme une machine infernale, elle renvoie l’œil se désorbiter sur les sexes, rouges comme les engelures bouillantes des pieds turgescents de cette fille émouvante dans l’embrasure, centraux comme le messie d’un jugement dernier. Enfin, elle revient triomphante, dans l’autonomie totale de son épaisseur, dégoulinante, en chef-d’œuvre in-connu, former « muraille de peinture »1, et grignoter, dans une mise en abyme d’elle-même, aussi bien l’espace du tableau que l’espace de l’atelier.
Car la Peinture, en ce lieu, est chair, « fonctionne comme la chair »2, présente la réalité pathétique de la chair tout en la représentant, expose sans pudeur et sans détour la frontalité putrescible des viandes animales et végétales. Et cette peinture ne se contente pas de s’incarner dans des nus époustouflants, des corps à corps sans artifice, mais pousse la crudité à occuper le moindre pouce carré (unité de mesure anglo-saxonne) de chaque tableau, ce qui fait in fine un vrai territoire en pays conquis.
Gertrude se sent elle aussi complètement colonisée, aliénée ; elle ne s’appartient plus, elle n’a plus toute sa tête. Car la Peinture lui a volé sa tête : elle joue avec comme avec un punching-ball, à grandes claques de chair, l’envoyant bouler d’un bout à l’autre de l’espace. Gertrude sent son os vaciller, se liquéfier, s’élastifier.
Elle rebondit d’un mur à l’autre en hurlant « Naked ! Naked ! Naked ! », comme un nouveau cri de guerre faisant résonner ses pariétaux d’un écho charnel oublié, comme l’incantation désespérée d’un os qui ne s’est jamais senti aussi proche de redevenir corps.
Si Gertrude n’était pas déjà tête nue, elle se mettrait à poil séance tenante.
Gertrude est tellement emprisonnée dans les draps maculés de la peinture qu’elle en a complètement oublié le beau linge qui l’entoure. Heureusement, personne n’a remarqué son délire ; ce beau monde est, d’ailleurs, occupé à bien autre chose qu’à regarder la Peinture, lui. Ce qui est sûrement préférable car cela ferait un beau désastre, certaines confrontations étant parfois d’une rare violence…
Enfin, ces gens ne sont pas fous, eux : ils savent très bien que les vernissages n’ont jamais été faits pour regarder la Peinture, mais pour avoir l’occasion de se retrouver entre personnes utilisant les mêmes codes de représentation. Il est toujours rassurant et gratifiant de se sentir en famille. Il est donc inutile de vérifier que les tableaux accrochés au mur ont toute l’innocuité requise à ce cocon préservé, puisqu’ils ont la bénédiction de l’Institution ; on ne peut que les aimer, cela tombe sous le sens. Et tout le monde s’aime, bien sûr ; quelle idée !
Et le plaisir est à son comble quand l’artiste est là…
Gertrude retombe brutalement sur le parquet des réalités; elle a senti comme un souffle, comme le frôlement d’aile d’un grand oiseau… Le maelström se creuse dans la foule serrée des invités. Soudain, au centre de la tourmente, elle le voit, elle le reconnaît, le VIP (Very Inouï Peintre), le seul… Avec son corps, sec comme un chien de ses peintures, son œil clair de faucon, dans lequel elle entrevoit, l’espace d’un instant, une liberté océanique ; car le temps n’a plus d’importance face à ce magnifique vieillard dont la présence efface le bourdonnement excessif de ses admirateurs.
Gertrude murmure tout bas « Lucian » comme un mot doux et tombe instantanément amoureuse.
Peu importe que Gertrude ne fasse pas partie de cette camarilla, elle vient d’avoir sa minute de bonheur absolu, le miracle de l’incarnation, la Sainte Trinité Picturale, la Peinture, la Chair de la Peinture et le sourire du Peintre.
Gertrude est fière.
En plus, elle est le seul crâne…
Mais quoi ? Qu’est-ce qu’elle raconte ? Mais non, elle n’est pas le seul crâne, ici… Elle se rappelle qu’elle est venu avec Albert, le crâne scientifique. Mais, où est-il donc passé ? Elle est impatiente de lui raconter son expérience exceptionnelle, de partager avec lui ce moment inoubliable. Enfin, elle le voit. Heureusement Albert a mis pour l’occasion des lunettes de couleur rouge ; il a dû voir ça sur Internet, en surfant sur les blogs sur l’Art, et a voulu se donner un petit air branché. Cela permet au moins à Gertrude de le repérer dans cette foule (Gertrude, elle, a des lunettes à carreaux, mais c’est juste pour voir et non pour être vue).
Albert, imperturbable, regarde chaque tableau, lit consciencieusement chacun des textes écrits en gros sur les murs ; ces textes permettent au visiteur de ne pas repartir idiot et d’avoir le sentiment que la peinture leur a été expliquée (heureusement qu’ils ne connaissent pas tous les performances de Joseph Beuys).
Albert, en crâne sérieux et scientifique, prend des notes dans un petit carnet ; Gertrude constate que c’est le même que celui tout corné du Capitaine qu’elle a en permanence dans son sac à main pour griffonner ses élucubrations de crâneuse quand elle s’ennuie dans le métro. Il paraît également que Hemingway et Picasso en avaient un, mais je soupçonne là un argument marketing.
Bref, Gertrude est toute contente de retrouver Albert, mais ce dernier semble bien trop occupé à rentrer toutes ces données et ces informations dans son cerveau scientifique pour perdre son temps à faire la conversation ou exprimer une quelconque émotion. Gertrude se sent bien bête et se souvient, qu’à son habitude, elle a encore laissé le peu d’entendement qu’elle possède à l’entrée de l’exposition pour ne garder en éveil que ses esprits animaux.
Elle en ressent brusquement une énorme colère et une grande tristesse.
Dans l’escalator qui les ramène au rez-de-chaussée, elle ne parvient même pas à contempler les toits de la capitale, spectacle qui lui est familier mais qui, comme l’océan de son enfance, est en permanente mutation.
Un hurlement enfle au fond de son crâne, terrible, lancinant.
Elle a envie de crier :
« Mais Albert, que ressentez-vous donc devant cette FUCKING NAKED PEINTURE ? »
Mais aucun son ne franchira sa mâchoire bloquée. Elle se raccroche désespérément à un faible espoir : Et si Albert, avant d’arriver en bas, brusquement, laissait s’exprimer son émotion , comme Jean-Pierre Marielle dans une œuvre cinématographique culte, célèbre anthologie de la Peinture :
« Ah ! Nom de Dieu de bordel de merde ! Quel cul !3 ».
Mais non, Gertrude et Albert sont déjà sur l’esplanade ; il fait froid, et Gertrude ne saura jamais si Albert est un crâne scientifique dénué de sentiment, un surdoué autiste ou tout simplement un grand timide.
Puisque c’est comme cela, Gertrude reviendra en compagnie d’Hedgarallaan son défunt transi de l’espace. Il joueront à touche-occiput devant les nus et se rouleront des pales os au cul de Freud, petit fils de.
Et Hedgarallaan dira :
« Je vais le peindre en vert, en bleu, en rouge, en jaune…3 »
JC,
Paris le 13/03/2010
1- Le Chef-d’œuvre inconnu, Honoré de Balzac.
2- Lucian Freud.
3- Les Galettes de Pont-Aven, Joël Seria, 1975.
*Lucian Freud, Centre Georges Pompidou, 10 mars – 19 juillet 2010
Mais tout ceci n’est qu’une fiction.
Bien heureusement il existe de vrais Amateurs d’Art :
lunettesrouges.blog.lemonde.fr
Laissez-vous guider, vous aurez l’impression d’y être.
Vous économiserez le prix du billet d’entrée,
mais vous ne mourrez pas idiot.
JC,
Pour l’occasion
Gertrude rose
enlève le haut
Gertrude noire
enlève le bas
Allez suivre quelques belles coutures à la
Gertrude est Fille N°5