ai-je étudié les effets de l’accouplement
du jour et des objets. »
Honoré de Balzac, Le chef-d’œuvre inconnu.
ou l’histoire d’une
Collision initiale.
En 1984, j’étais élève aux Beaux-arts. Un jour, j’eus une très vive altercation avec un jeune enseignant de l’école. Ce n’était pas la première fois que je me querellai avec ce professeur qui, à l’évidence, n’appréciait ni mon travail ni ma personnalité. Cette fois, l’échange fut très violent. Nous nous traitâmes mutuellement de tous les noms d’oiseaux et le ton monta très vite. Quand la dispute atteignit son paroxysme, mon interlocuteur eut cet ultime argument : « Tu n’es pas Juliette, mais Judith. Tu es aussi dangereuse que Judith… ».
Hors de moi, je fus particulièrement exaspérée par cette insulte dont je ne saisissais pas le sens. Animée par un très fort désir de vengeance, je me lançai dans des recherches pour comprendre cette phrase sibylline. Ces dernières m’amenèrent rapidement au texte de l’Ancien Testament dans le livre de La Bible. Je m’en procurai un exemplaire et ouvrai pour la première fois ce livre. À mon grand étonnement, j’y découvris un chapitre entier consacré à l’histoire de Judith et surtout un texte merveilleux, poétique et sensuel.
Judith, dont le nom signifie « Fille de Judée », était une jeune femme très belle qui vivait à Jérusalem. Veuve, elle allait, vêtue de noir et la tête couverte de cendre. Un jour, la ville de Jérusalem fut assiégée par une armée ennemie. Judith décida de sauver son peuple. Elle endossa ses plus beaux vêtements et se couvrit des plus riches parures d’or. Accompagnée de sa servante, elle alla à la rencontre d’Holopherne, le chef des ennemis. Elle entra dans sa tente, accepta de partager son repas et entreprit de le séduire. Holopherne, qui était jeune et beau, fut saisi d’un violent désir envers Judith. Ayant aussi un peu bu, il en oublia sûrement toute méfiance. Judith, profitant de cet instant de faiblesse, s’empara du cimeterre caché dans le sac que portait sa servante et trancha la tête d’Holopherne. Elle revint victorieuse à Jérusalem avec le trophée dans son sac. La tête d’Holopherne fut exposée sur les remparts de la ville. À la vue de ce macabre spectacle, l’armée ennemie, privée de chef, prit la fuite. Judith fut traitée comme une héroïne.
Quelques jours seulement après cette lecture, je découvris chez un brocanteur un livre écrit en allemand illustré en noir et blanc sur le peintre viennois Gustav Klimt. Le livre, à demi rongé par les rats, était en un tel état que le brocanteur m’en fit cadeau. Ce jour-là, je rencontrai l’œuvre de Gustav Klimt à travers des reproductions noir et blanc, très abîmées, accompagnées d’un texte écrit dans une langue totalement incompréhensible pour moi.
Je fus tout de suite fascinée par les images féminines et en particulier par la Judith I. J’entrepris de découper toutes les images du livre et je les recollai dans un vieux registre de compte que j’avais chiné précédemment. C’était un grand carnet avec d’une part des feuillets numérotés en papier de soie et d’autres en papier bible constituant un répertoire.
Je photocopiai certaines images de ce livre reconstitué, ainsi que des pages du Livre de Judith de la Bible. Je commençai à travailler sur ces photocopies, redessinant, écrivant, et surtout recouvrant de peinture, certaines parties des images. Très vite je ne m’intéressai plus qu’à une seule image, celle de la Judith I de Klimt. Je réalisai un grand nombre de peintures sur les photocopies de la page n°306 de mon livre de compte. Je retraçai les formes, en recouvrai d’autres, recommençai souvent les mêmes gestes, jusqu’à connaître par cœur chaque détail du tableau.
Les formes tirées de cette œuvre, à force d’être répétées, finirent par prendre une sorte d’autonomie ; rapidement, j’éprouvai le besoin de décliner sur d’autres supports ces éléments qui pouvaient perdre leurs sens figuratifs premiers et se métamorphoser au gré du texte de Judith que je relisais sans cesse. Ainsi j’avais puisé dans cette reproduction noir et blanc du tableau de Klimt une sorte de vocabulaire de formes polysémiques que j’allais utiliser pendant plus de deux ans dans ma pratique. Par exemple, la forme de la tête de Judith, son collier carré pouvaient jouer tour à tour le rôle de couperet ou se substituer à la tête décapitée, l’arbre en haut à gauche faisait écho à la main qui tenait cette dernière, les fruits et les éléments décoratifs jouaient ou la chute ou l’enfouissement et c…
Je ne vis le tableau en couleur qu’à la fin de ce parcours lors de la grande exposition Vienne à Paris en 1986. Jusque-là, je n’avais pas été plus avant que mon ouvrage noir et blanc incompréhensible, dans mes recherches sur Klimt. Je fus déçue à la vue du tableau auquel j’imaginais une facture plus épaisse et plus riche.
Pour ma part, j’avais introduit dans mon travail tout une gamme de matières qui avait presque pris le pas sur les formes du tableau de Klimt. J’utilisais de la cendre, du feutre, de l’huile, des feuilles d’or, du bitume dans des séries de petits formats ponctuées de très grands. Ces derniers saturés de matière ont été jusqu’à peser quatre-vingts kilos. Ce travail sur Judith constitua un ensemble de plus de quatre cents pièces avec lequel j’envahis le grand hall de l’école le jour de mon Diplôme. Au bout de ce parcours, mon travail se détacha peu à peu de l’histoire de Judith. Il évolua vers d’autres domaines tout en gardant la persistance de certaines formes et certains matériaux.
Accompagnant cette immersion dans l’histoire de Judith, un autre texte s’imposait à moi comme une obsession : celui du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, texte que m’avait fait découvrir un autre enseignant de l’école, Alain Borer.
Parallèlement à cette aventure qui habitait ma pratique picturale, une autre expérience, beaucoup plus confidentielle, était en train de changer à jamais ma vision, et nourrissait secrètement mes Judith : Depuis quelques mois, j’allais passer une après-midi par semaine à la morgue du C.H.U. de la ville. J’observais, je dessinais, je peignais, je contemplais les cadavres, couchés sur les tables de dissection, de ceux qui avaient donné leur corps à la Science. Je m’étais liée d’amitié avec les personnes qui travaillaient dans cet endroit très particulier, où il était de mise d’être en même temps carabin et poète, trivial et sentimental, grossier et pudique. Surtout, la dérision y était obligatoire.
C’est en ce lieu violent et serein, inquiétant et accueillant, étrange et bouleversant à la fois, que j’ai trouvé Gertrude.
C’est, aujourd’hui, neuf avril deux mille huit, en ce lieu virtuel tout aussi surprenant, que je raconte cette histoire pour la première fois.
Capitaine du Vaisseau Cybergalactique Gertrude.
Paris, le neuf avril deux mille huit.
Vraiment tu exagères: je produis un peu plus que toi et je ne ressors pas que des vieux troupeaux de moutons qui datent de mes dernières vacances à la neige.
Et alors?
Ca sent le sarcasme; c’est plus facile avec les macchabées…
Je vois que tu as fait fonctionner ton logiciel retourneur d’images.
Pour le caractère c’est l’hopital qui se moque de l’institut médicolégal.
En quel honneur toutes ces fleurettes: t’es malade ou tu veux m’enterrer?
Merci, ma Juju incarnée, cela me va droit au coeur.;-))
Y’a pas le feu… je crois z’en la génétique tout conmme zo’o coïncidences, mais beaucoup moins z’en la réincarnation
Attention à la confusion; les private jokes des uns ne sont pas celles des autres. Moi non plus je ne crois pas à la réincarnation. Je ne crois pas, tout court.
cela me rat sûr
Tu as retrouvé la bonne longueur d’onde, Raphaël.
C’est bô soupô….
Prière de consulter les projets: un peu plus bas à droite.
Je vois…C’est grave.De temps en temps tu exagères, mais aujourd’hui j’ai décidé de ne pas me facher avec toi.
mine de rien cette grosse engueulade a donné naissance à une série très inspirée !
Une série dont le tranchant est à la hauteur de la violence de l’altercation…
Merci de ta visite et de ton commentaire; je te rends la pareille sans tarder.
un corps à corps biblique!!!!
http://gertrude.over-blog.org/article-20608286.html
Judith…oui ouais…ben tiens ,je me disais aussi…il y a même pas une semaine ,Judith…c’est dans l’air …comme ça ,à sentir avec mes narines sorcières….Vous allez voir ça pas tard !!! 🙂
VOTRE MAGICIENNE
Judith sera toujours dans l’air.
Et comment ,ma chère !!!
Il commençait à faire soif sur ce blog. Bonne idée que d’avoir enfin ouvert les robinets de la fontaine des 4 sans cul. Quand tu veux pour la suite des Judith !
Je m’étais pas trompé… t’as bien respiré à pleins poumons le parfum de l’institut médico légal
Alors c’est fort Gertrude C’est fort comme le courage
Tes bitumes m’ont scotché au premier regard… Tout comme tes cahiers mortuaires. C’est la raison pour laquelle j’ai poursuivi le discours avec ton crâne, bien que souvent de mauvais poil… pardonnons-lui s’il ne sait plus où donner de la tête… Nous en sommes tous rendus à la même évidence.
Que de puériles altercations sur la forme vous deux! Pour ma part seul le fond compte, qui me touche et m’éclaire sur certaines choses (en esperant que ma vanité ne m’aveugle pas sur certaines coincidences(?)), enfin bref la seule concernée me comprendra, bon anniversaire Capitaine…
A ta santé et longue vie à Gertrude HSH
Je m’éveille et je marche la nuit dans la boue les yeux ouverts je ne crie même pas dans le désert de boue et dans la nuit comme le font les hiboux j’étouffe comme les insectes mous parce que les mauvaises odeurs sont vraiment trop fortes Et je sais que quelqu’un me suit quelqu’un qui est laid comme un miroir et qui m’appelle je réponds j’ai tort je réponds parce que je sais parce que je l’ai découverte qu’une lumière va naître je continue et je marche la nuit dans la boue les yeux ouverts j’attends j’ai tort mais je continue à marcher la nuit dans la boue
Sous le Sarkophage ?…