Mission d’exploration.

 
DEMAIN :
 
 DÉPART POUR LES
ÉTOILES
 
Le Capitaine et son équipages de Cochons ailés
vous souhaitent une agréable croisière
à bord du Vaisseau Cybergalactique

GERTRUDE.
 
Au programme :

Découvertes extraordinaires, Aventures inédites, Courses de désorientation,
Turbulences et Météorites,
Observations, Calculs, Analyses, Dissections,
Oraisons et Prédictions.

Le Voyage durera environ un Mois
Et se terminera par une traversée du Fleuve
sur le Pont de la Réelle Relique.

Rien ne sera prévu
mais
Rien ne sera laissé au Hasard

CHECK-LIST.

SOYEZ PRÉVOYANTS !

Vérifiez si vous avez bien :

Votre télescope, votre parapluie, votre microscope, votre sextant, votre stylo plume, votre planche de surf, votre crucifix, votre manomètre, vos grigris,  votre thermomètre, vos rames,  votre chronomètre, votre rosaire,  votre machine à coudre, vos palmes, votre eau bénite, vos pinces-monseigneur, votre marteau, votre compas, votre fétiche, votre clavier, votre balance Roberval, votre prie-dieu, vos écouteurs, votre doudou, votre clepsydre, votre agenda, votre maillot, votre tenue de plongée, votre baromètre, vos lunettes à carreaux, votre lecteur mp3, votre bréviaire, vos mouchoirs, votre pense-bête, votre échiquier, vos cordes vocales,  votre gilet de sauvetage…

Maintenant surveillez les quatre points Cardinaux :
Tout peut encore arriver !

Colère!

Jusqu’où ira Gertrude sur le chemin de la Colère ?
Parviendra-t-elle encore à puiser au fond de la Déception
les forces de la Dérision ?
Aura-t-elle l’élégance de rire dans son Désespoir ?
Trouvera-t-elle l’énergie de Continuer ?

Vous qui échangez des banalités à la scène comme à la ville,
Vous qui congratulez ceux qui vous ressemblent,
Vous qui flattez votre bonne conscience en hurlant avec la meute,
Vous dont l’idéalisme béat se cultive dans un fauteuil,
Surtout ne prenez aucun risque.


La Liberté
vous fait peur ?
Gardez-vous en bien, laissez-la aux fous.

La Mort
vous paraît obscène ?
Gardez les yeux fermés, suivez le troupeau bêlant…
Tout droit devant vous : l’abattoir.

Mais, de grâce, passez votre chemin !


Stratégie.

 
Le Crâne est de retour.

Seul l’Art de la Guerre subsistera.

Avance Gertrude!

I. Détermine les plans de l’ennemi et tu sauras quelle stratégie sera couronnée de succès et celle qui ne le sera pas.

II. Perturbe-le et fais lui dévoiler son ordre de bataille.

III. Détermine ses dispositions et fais-lui découvrir son champ de bataille.

IV. Mets-le à l’épreuve et apprend où sa force est abondante et où elle est déficiente.

V. La suprême tactique consiste à disposer ses troupes sans forme apparente ; alors les espions les plus pénétrants ne peuvent fureter et les sages ne peuvent établir des plans contre vous.

VI. C’est selon les formes que j’établis des plans pour la victoire, mais la multitude ne le comprend guère. Bien que tous puissent voir les aspects extérieurs, personne ne peut comprendre la voie selon laquelle j’ai créé la victoire.

VII. Et quand j’ai remporté une bataille, je ne répète pas ma tactique, mais je réponds aux circonstances selon une variété infinie de voies.


Sun Tse, Les treize articles sur l’art de la guerre, Article VI: Du plein et du vide,
206 av J-C.

 

Philippe Soupault. (rose)

RENCONTRE*

Philippe Soupault (1897-1990), photographié par Bérénice Abbott, 1928.

        Quand j’étais élève à l’école des Beaux-Arts, Philippe Soupault vint y donner une conférence. Nous vîmes arriver un très vieil homme au profil d’aigle. Il nous parla pendant deux heures avec passion et bienveillance de son extraordinaire parcours, ces longues mains noueuses comme des ceps de vigne posées devant lui.
        À la fin de son intervention, prise d’une impulsion soudaine, je surmontai ma timidité et m’approchai de lui. Du haut de mes vingt ans je lui racontai que j’avais lu les Chants de Maldoror une bonne dizaine de fois, que ce texte était pour moi une vraie révélation, que j’en connaissais des passages entiers par cœur.
          Je sais
que Philippe Soupault  m’écouta et me parla avec une grande douceur ; je me souviens surtout de la lumière de son regard et de la beauté de son sourire.
        Je sus à l’instant même, que je rencontrai cet être humain pour la première et la dernière fois de ma vie, que j’étais dramatiquement née trop tard.
      
        J’ai acheté, cet été, sur Internet le premier volet des Mémoires de Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, qu’il a écrit à l’âge de trente ans ; je n’ai pris connaissance de ce texte que ce mois-ci.


« Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire. »

*La Rencontre est un phénomène rare; cependant elle reste, je crois, ce qui advient de plus important et de plus déterminant dans une vie.

   
 Des êtres se rencontrent et une douce musique s’élève dans leurs coeurs.
Jens August Schade

Philippe Soupault.

 

        C’est à cette époque que je lus les Chants de Maldoror, qui demeurent pour moi la plus grande révélation.

        Isidore Ducasse. Ces quelques syllabes suffisent à me réconcilier pendant une heure avec moi-même. Il m’importe peu de découvrir, ici ou là, d’autres intercesseurs. Un seul suffit à un seul homme. On parle toujours de l’étoile, de la bonne ou de la mauvaise, d’un être : on ne parle pas d’un firmament. Il me semble que Lautréamont m’empêche d’admirer.
    Cette joie que tout à coup je recueille pour mes sens endormis est une joie sans qualificatif, une joie enfin que je désire et que j’attends. Lautréamont. Ô désespoir de ma vie, ma chère frontière, borne miraculeuse ! J’apprends grâce à lui à me décider à vivre, comme le dernier des crabes. Tout ce qui, autrefois, pinçait mon cœur et fouillait mon cerveau se fane et achève de mourir, sans même que j’y prenne garde.
(…)
        N’est-ce pas qu’il faut avoir du chagrin, beaucoup de chagrin parce que l’on est né trop tard ? Je me console de la mort de mon ami qui fut, dit-on, prématurée, mais non de ma naissance tardive… Il suffisait d’une seule génération. Me voici (moi et les autres) misérablement réduit à fouiller dans les souvenirs, à gratter les pages d’un livre. Un homme, un homme, est-ce que l’on rencontre cela si souvent ? Est-ce que vous en voyez beaucoup autour de vous ? Est-ce que la pourriture qui pue est si féconde ?
        Il faut chercher longtemps. Et lui vivait il y a à peine cinquante ans. Je suis arrivé trop tard et mon ami est mort. Il s’en fallait de trente ans ! Quelle tristesse d’être obligé d’imaginer la dernière crispation de cette bouche pour pouvoir se souvenir d’un visage moribond et chéri !
(…)
        Ce n’est pas à moi, ni à personne (entendez-vous, messieurs, qui sont mes témoins ?) de juger M. le Comte. On ne juge pas M. de Lautréamont. On le reconnaît au passage et on le salue jusqu’à terre. Je donne ma vie à celui ou à celle qui me le fera oublier à jamais.
        J’étais couché dans un lit d’hôpital lorsque je lus pour la première fois les Chants de Maldoror. C’était le 28 juin. Depuis ce jour-là personne ne m’a reconnu. Je ne sais plus moi-même si j’ai du cœur.
        « Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire. »

Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, Mémoires de l’Oubli. 1927

 

Philippe Soupault.

            La mort. Je répète ce mot. J’ai parfois senti son odeur sauvage comme celle qui s’échappe des triperies, j’ai entendu le claquement de son vol qu’on dit noir, j’ai vu la mort de près et je ne parviens pas à en être trop effrayé. Elle me paraît souvent n’avoir qu’une valeur d’échange. Ces mots que j’aime, la liberté ou la mort, sonnent dans mes oreilles. Je la préfère à beaucoup de buts qu’on m’a proposés en me disant qu’ils étaient beaux.
        Si je pense à elle sans dégoût, ce n’est pas parce que je crois à un au-delà quelconque, ce n’est pas non plus parce que je m’imagine qu’il existe ce qu’on nomme la postérité. Je songe banalement à un grand sommeil, large comme une plage d’océan.


Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, Mémoires de l’Oubli. 1927

Noire Judith.

JC, Judith (en noir et blanc), technique mixte sur photocopie, 21 x 29,7

Foutez-moi à la mer
mes amis
mes amis quand je mourrai
Ce n’est pas qu’elle soit belle
et qu’elle me plaise tant
mais elle refuse les traces
les saletés les croix les bannières
Elle est le vrai
silence et la vraie solitude

Philippe Soupault, La Bouée.