Philippe Soupault.

            La mort. Je répète ce mot. J’ai parfois senti son odeur sauvage comme celle qui s’échappe des triperies, j’ai entendu le claquement de son vol qu’on dit noir, j’ai vu la mort de près et je ne parviens pas à en être trop effrayé. Elle me paraît souvent n’avoir qu’une valeur d’échange. Ces mots que j’aime, la liberté ou la mort, sonnent dans mes oreilles. Je la préfère à beaucoup de buts qu’on m’a proposés en me disant qu’ils étaient beaux.
        Si je pense à elle sans dégoût, ce n’est pas parce que je crois à un au-delà quelconque, ce n’est pas non plus parce que je m’imagine qu’il existe ce qu’on nomme la postérité. Je songe banalement à un grand sommeil, large comme une plage d’océan.


Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, Mémoires de l’Oubli. 1927

Noire Judith.

JC, Judith (en noir et blanc), technique mixte sur photocopie, 21 x 29,7

Foutez-moi à la mer
mes amis
mes amis quand je mourrai
Ce n’est pas qu’elle soit belle
et qu’elle me plaise tant
mais elle refuse les traces
les saletés les croix les bannières
Elle est le vrai
silence et la vraie solitude

Philippe Soupault, La Bouée.

Topographie n°4.

Juliette Charpentier, Détail de Gertrude,
13 x 16 cm, mine de plomb.

                J’ai déjà une malle pleine de pièces et de râteliers. Vous ne pouvez croire quelle est ma joie lorsque seule je m’amuse à feuilleter ma collection. Dans mon boudoir, j’ai suspendu au plafond par un fil toute une mâchoire reconstituée. C’est merveilleux. Il m’arrive de la baiser sur les dents, après l’avoir fait se balancer comme un pendule. Moi seule sais quelle signification a ce sourire régulièrement déplacé qui finit par se tenir immobile. L’instant du repos est celui du baiser.

Georges Ribemont-Dessaignes, L’autruche aux yeux clos.

Topographie n°3.

Juliette Charpentier, Détail de Gertrude,
13 x 16 cm, mine de plomb.

Est-ce toi qui m’abandonnes
est-ce moi qui t’abandonne
mort que je guette et que j’attends
le jour la nuit tout à l’heure
pourquoi serais-je si différent
compagne discrète et silencieuse
qui sait mon âge mon nom mon heure
toi qui me guettes toi qui m’attends
nous nous rencontrerons demain
ou dans dix ans ou dans une heure

Philippe Soupault, Avec et sans phrases.

Topographie n°2

Juliette Charpentier, Détail de Gertrude,
13 x 16 cm, mine de plomb.

           
            J’ai vu des lignes tirées par d’excellents maîtres qui étaient si délicates, que les filets des toiles d’araignées ne le sont pas d’avantage : mais ces autres lignes que je forme dans mon esprit sont toutes différentes de celles-ci, et ne sont nullement des images de celles qui sont sensibles à nos yeux. Et celui-là les connaît et les comprend, qui sans avoir nulle pensée d’aucun corps les connaît intérieurement en se les représentant dans son esprit.

Saint Augustin, Confessions.