Dix Neuf de février: Vanité au laid ou sans sucre?


Lettre ouverte
à tous ceux
qui prennent les boîtes crâniennes
pour
des contenants à matières molles

 

img_0002.jpgJC, Autoportrait sans tête, mai 2009
« …telle Perrette et son pot à laid partant pour la foire aux crânes… »

     L’exposition C’est la vie* au Musée Maillol est de ces manifestations parisiennes qu’il est de bon ton de dénigrer, sans toute fois avoir négligé d’y avoir traîné. Et à défaut d’arguments, d’y avoir au moins traîné pour prétendre y être allé ; et, à défaut d’y être allé, de prétexter ne pas y avoir traîné pour avoir eu vent de quelques dénigrements à son sujet.

 

     En bonne crâneuse à la vanité décomplexée, je n’ai pas dérogé au phénomène, puisque j’y suis allée bille en tête ; à la différence de certains, j’ai laissé mes matières molles pendre au clou  du marchand du temple des audiophones, après avoir réussi à grappiller quelques euros de réduction avec  ma carte du FBI ( Fieffé Bonobo Indéterminé ou Folle Bête Indigne).

     Je vous ferai grâce de mes élucubrations personnelles et approximatives  sur les résonances duchampiennes du titre de l’expo au fond de ma calebasse, ready-made en os livré en l’état.

     Étant peu informée de nature et préférant les statut de l’informe, je reconnais que je me rend rarement dans les expositions sur avis ; ces derniers ont souvent un effet pervers sur mon comportement : ainsi trop d’enthousiasme aurait tendance à me plonger en catatonie  (c’est comme cela que j’ai raté l’incontournable et indispensable film titaniquesque de James Cameron) et l’éreintement massif entraînerait chez moi un accès de curiosité malsaine avec poussée aigue de boutons à purulence contradictoire.

     Aussi, me suis-je rendue au Musée Maillol, le crâne vide, le cœur léger, l’intellect innocent, telle Perrette et son pot à laid partant pour la foire aux crânes. Mes spéculations de monomaniaque de la boîte vide ne furent point déçues : je parcourus avec une jubilation toute infantile les trois niveaux d’un grand déballage osseux, me remplissant l’orbite de toute la débauche rutilante de cette belle chute d’os.

     Je dégustai sans modération dans les gamelles creuses de Subodh Gupta, entre autres friandises, le sang de Michel Journiac et les asticots en résine des frères Chapman, je donnai un coup de langue râpeuse sur l’huile de Zurbaran, croquai à pleines dents dans les légumes de Dimitri Tsykalov, me gavai de morte adèle géante avec  Christian Gonzenbach .

     Je me dessillai les globes dans les petits miroirs des anamorphoses cylindriques, versant au passage une petite larme de crocodile frustré sur l’absence inacceptable du plus grand Objet Visionnaire Naturellement Incongru peint par Holbein pour faire trébucher de beaux Ambassadeurs .

     Je faillis rester collée sur l’os merveilleusement pâteux de Cézanne, engluée dans mon regret d’Art Ensor .

     Je me mirai dans l’os argenté du miroir poli de John Armleder, telle une belle vénitienne parée des fabuleux bijoux de Codognato .

     Je me fendis carrément la poire et me secouai les fontanelles  devant la tronche de miquémaousse post mortem, précieusement conservée par Nicolas Rubinstein et je me tins les côtes devant les travaux de tapisserie de Daniel Spoerri. 

     Je ricanai en prenant mon air le plus grinçant devant le somptueux et baudelairien manteau de charogne des mouches de Damien Hirst ; par contre je me suis retenue de trop me marrer devant la caboche en gauloises bleues de Serena Carone, vu les tonnes de golduches sans filtre que j’ai pu fumer par le passé…

    

     Non il n’y a pas de quoi rire…

Je sais, ce n’est pas bien, tous ces crânes sont là pour délivrer leur funeste message : Souviens-toi  que tu vas mourir ! (les plus snobs le diront en latin).

    

     Surtout que, de retour chez moi, devant ma fenêtre ouverte sur le monde, toute virtuelle  soit-elle, je me suis prise au jeu de la navigation en os trouble, m’aventurant hors des marais putrides dans lesquels je me complais d’habitude ; j’ai pu ainsi prendre la mesure de l’abondante et diverse fortune critique de cette petite exposition pleine de vieux, croyant débarquer avec leurs audiophones à la journée porte ouverte de la Faucheuse. Je constatai avec effroi la richesse et l’érudition étalées des propos et en bonne militante écolo, défenseuse du pixel solitaire, la somme d’électricité et d’usure de clavier que représentait  toute cette ébullition  intellectuelle ; au fur et à mesure de mes lectures,  je commençai par effacer le sourire bêta de ma face grimaçante, tant je me rendais compte du sérieux que j’aurais dû afficher lors de cette visite, et il me prenait une envie fourmillante, tel un boisseau de vers se repaissant  de chairs putrescentes, de me lancer à mon tour dans un exercice d’intense réflexion, activité  peu  commune à ma caboche rouillée, et la tentation de passer, une fois n’est pas coutume, pour une personne intelligente et sérieuse. En bref, il était urgent pour moi de commencer à disserter sur le concept de Vanité, monument incontournable de l’Histoire de l’Art… Conclusion, vous l’imaginez bien, à laquelle  il est difficile de ne pas arriver sans quelques sueurs froides; car quiconque affronte la Vanité est confronté à ses propres desseins vaniteux.

     Même si l’idée de rivaliser avec les commentateurs brillants dont j’ai pu lire les notes ne m’a point effleurée, il subsiste chez moi, accrochés à mes ossements, quelques lambeaux d’instinct  de compétition et de conformation, si chairs aux génies des alpages que nous sommes. Et c’est probablement là que le retour à la poussière promis par toutes ces têtes en os me sauve de l’anéantissement et d’une honte fatale : car si vous me suivez bien, vous comprendrez que j’ai beau vous saouler depuis le début de cette page du trop plein de vacuité de mon crâne, je n’en serai pas moins à égalité, et c’est là que cela devient injuste, avec les esprits brillants et sérieux quand sonnera l’heure finale.

     Cela ne m’empêche pas du fond de mon insolente et vaniteuse bêtise, de compatir au désappointement de certains devant cette accumulation  indigeste de crânes, qui pourrait bien, horreur, tourner au phénomène de mode, parangon de l’inconstance et de la futilité  humaine, comble de la Vanité éphémère, devant ce déballage excessif et vulgaire de faces de mort au stéréotype à spectre large qui scande, autant de fois qu’il y a de têtes de pipes, un message tout ce qu’il y a de plus clair à la portée du plus grand nombre.

     Car, en effet, il y a sûrement beaucoup plus subtil et élégant pour représenter la Mort qu’une orgie d’ossements et de calebasses grimaçantes ; il me semble même que l’œil averti aux faits iconiques et plastiques trouvera meilleure nourriture à sa jouissance intellectuelle à suivre l’ombre de Thanatos par des sentiers moins évidents,  à travers des œuvres moins « lisibles » ; et que Thanatos prend chair, sans besoin d’os, en ce corps d’Eros désirant qu’il soit peinture, sculpture ou tout autre matérialité sensible.

     Ainsi, la Mort ne rampe-t-elle pas, dans toute son horrible splendeur, dans l’œuvre monumentale de Boltanski au Grand Palais, autre lieu incontournable des déambulations « intellectuelles » de la Capitale ? Car, dans cette espace immense et glacial structuré par la minéralité du fer et du verre, le corps du spectateur ne peut qu’être confronté , saisi, happé par le trou noir de ces corps absents, du vide de ces amas de hardes, par la pulsation évanescente de centaines de cœurs qui affolent ses propres fonctions vitales dans une course impossible vers une obscurité inexorable. 

     Il en est ainsi d’innombrables œuvres, miroirs fragiles de nos âmes, vomissures désespérées de l’artiste à qui veut bien en être éclaboussé.

    

     Mais que cela soit le chaos textile de Boltanski, les décomptes en voie de disparition d’Opalka, de la blancheur des toiles de Ryman, de l’or jeté à la Seine de Klein, des expériences picturales ultimes de Gasiorowski, des tentatives de robes réincarnées de Sterbak, (et la liste est infinie), cela restera toujours métonymique  d’une seule chose, à savoir ce à quoi nous serons réduits : cet intérieur putrescible  qui s’expose, qui explose à notre mort, cette ouverture impudique de nos chairs, cette impossible vision de notre être ; et au final cet os,  face de la physionomie inconnaissable , aux orbites creuses de nos identités disparues, au rictus inextinguible. Car, reconnaissez-le, c’est bien cette horrible tête de pioche de boit-sans-soif qui excite notre curiosité, qui nous rend à notre nature de voyeurs de notre propre devenir, ultime obscénité qui nous sera à jamais dérobée.

 

     Car la seule Vanité efficace me reste celle-là, celle qui dialogue avec le futur putride de mes entrailles, la tête en os insolente, primaire, vulgaire, ricanante,  ridicule, brute de décoffrage de ma chair ; celle dont je viendrai me moquer encore et encore, vêtue de mon apparence fragile.

 

     Et je reviendrai voir cette foire à l’asticot, aussi contestable soit-elle mais jamais aussi contestable que la Mort, en compagnie de mes amis, et nous rirons plus fort que cette tronche de cake, oui, nous rirons…

   

     Je déclare solennellement  ce dix-neuf février journée nationale du Crâne.

 

 

*3 février/28 juin 2010, Musée Maillol, Paris.

 

Paris le 18 février 2010,

JC, Capitaine Officielle du Triblog de Gertrude

Quelques liens où vous trouverez enfin des propos intelligents  sur le sujet :

 

 

http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2010/02/05/trop-de-cranes/

http://florizel.canalblog.com/archives/2010/02/09/16849327.html#comments

http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites/index.php/2010/02/07/166396-vanites

http://www.evene.fr/arts/actualite/vanites-caravage-damien-hirst-cranes-c-est-la-vie-2523.php

http://lefilduregard.canalblog.com/archives/2010/02/10/16832801.html

http://theaujasmin.blogspot.com/2010/01/musee-malliol-cest-la-vie-vanites-de.html

http://vilainefifi.canalblog.com/archives/2010/02/12/16863370.html

 

  Pardon pour les autres, mais j’ai eu la flemme de tout coller…

 

 

Par contre si vous avez encore soif d’os,

une patiente collectionneuse en a récolté quelques uns pour vous:

 

http://mercerieambulante.typepad.com/mercerieambulante/2010/02/gertrude.html

 

et ce n’est pas pour arranger la vanité de ce fichu Crâne….

 

La peau cathartique de Gertrude: première analyse.

 
GERTRUDE

ou

Le Complexe du
 
Hareng

Cela fait presque deux ans que

Gertrude tente de faire illusion dans la vitrine
Gertrude évolue en aquarium
Gertrude se conserve dans le sel de nos larmes
Gertrude vous regarde avec un oeil de poisson frit
Gertrude se croit fraiche comme un gardon
Gertrude attire les pêcheurs
Gertrude nage en os troubles
Gertrude fait « blog » sur l’interface
Gertrude brille sur les étals
Gertrude se promène en banc
Gertrude a une mémoire de poisson rouge
Gertrude est toute ouïe

Enfin

cela fait exactement vingt trois mois que Gertrude est au bout de la ligne

 

JC, novembre 2009, La peau cathartique de Gertrude N°1,
Huile sur carton, médium, verres de montre, clous,
 2 x 20  x 20 cm.

Hareng à l’huile
sur
gertruderose

Hareng au charbon de bois
sur
gertrudenoire

Le Bleu, premier composant de la Cyber-Interactivité* Artistique.

 

On dit proverbialement « Faire des coups bleus » pour dire : faire des efforts inutiles, des tentatives qui ne réussissent point.

Dictionnaire d’Antoine Furetière, 1684.

* L’interaction entre Juliette Charpentier et Renato Garone
relève du seul domaine du virtuel et de l’écho système Dada.

Dissection n°3: de la Délocalisation de l’Interface.

Troisième volet de la Dissection (à suivre):
La Relique Bleue (collection particulière),
réalisée à Paris par Juliette Charpentier en Mai Deux mille huit.
Peinture acrylique, vernis, pigments, encre, crayons de couleur, collage d’éléments divers sur chromo.
15 x 19 x 3 cm.

Détails:

– Chromo « Souvenir de Nice », représentant  principalement une vue d’une plage de la ville de Nice: le ciel, la mer, le littoral et des motifs floraux dans les parties supérieures et inférieures. Format ovale « paysage », encadré sous verre bombé et cerclé de métal doré. Acheté sur internet le 13 juin 2007 à un ebayeur lillois qui l’a livré métro St Paul à Paris.
– Tissu de soie bleue et filet noir et or achetés en avril 2008 dans un magasin du quartier Barbès dans le 18ème arrondissement de Paris.
– Paillettes bleues, feutre noir, petite plume bleue, petite loupe en résine, issus de la boite à couture de JC.
– Plume trouvée en Terre d’Aquitaine en avril 2008.
– Photographie du Crâne nommé Gertrude trouvée en 1983.
– Photographies découpées et repeintes des deux petits cochons livrés par l’Aéropostale en Avril 2008.
– Peinture acrylique bleue, encre bleue, pigment bleu, vernis, crayons de couleur issus de la boite à outils de JC.

Certains éléments représentés sont laissés à l’interprétation et à l’appréciation du seul possesseur de la Relique.

La Relique Bleue fait partie d’une collection particulière; c’est pourquoi sa mise en ligne n’est pas de notre initiative mais éventuellement de celle de son propriétaire.

La lettre, écrite le 7 mai à Paris, 11 heures.
   
(à suivre)

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ANNIVERSAIRE!
5
Mai 2008

Les fragilités de la Réalité se glissent dans les fissures de la Bulle Virtuelle.
Le Capitaine transgresse ses Interdits et compose avec l’émotion du Tangible.
Soufflez la sixième bougie :


Dissection n°2: de l’Immatérialité de l’Interface.

Tentative d’ analyse sémantique
d’un composant essentiel
de l’Interface:

Ou comment expliquer le Bleu à un Autruchon.



Bleu
: Qui est de couleur d’azur. C’est le très grand éloignement  qui nous fait croire que les cieux sont bleus, une mer très éloignée paraît bleue. Saumaise lui donne une origine latine, et croit qu’on a dit blutum, quasi ablutum aut dilutum, parce que c’est une espèce de couleur de pourpre bien lavée : d’où vient aussi qu’on appelle ces fleurs bleues qui viennent dans les blés blaveoli.
En peinture on dit que le bleu est la couleur la plus fuyante dont on peint le ciel et les lointains.
On dit figurément qu’un homme devient tout bleu, quand il lui survient quelque violente douleur dans l’âme, comme lorsqu’on lui apporte quelque fâcheuse nouvelle, qu ‘on lui fait quelque reproche dont il se sent coupable, parce qu’alors il devient en effet pâle et livide.
On appelle un Cordon bleu, un Chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit, parce que la marque de cet ordre est une croix attachée à un cordon bleu.
On dit proverbialement « Faire des coups bleus » pour dire : faire des efforts inutiles, des tentatives qui ne réussissent point.

Dictionnaire d’Antoine Furetière, 1684.