Gertrude et les trous d’épingle.

Profil de Gertrude en trous d’épingle , 2007, papier de soie, dentelle en papier, cadre plastique et verre, 10,5 x 11,5 cm.

    C’est l’histoire d’une petite fille de cinq ans.
    Elle vient d’arriver avec ses parents dans un petit village de brousse du Sud malgache.
Auparavant, ils vivaient au Soudan, à Khartoum.
À Khartoum, les parents de la petite fille avaient essayé pendant une semaine de la mettre à l’école maternelle française. La maîtresse s’appelait Mme Vilain. La petite fille avait pleuré sans s’arrêter pendant toute la semaine, à tel point que la maîtresse ne pouvait plus la supporter et que ses parents avaient été obligés de la retirer de l’école. La petite fille ne savait pas à ce moment-là que cet événement changerait son destin à jamais. Elle fut ensuite gardée à domicile par une femme soudanaise ; il lui en reste, à présent, le souvenir d’une grande silhouette drapée de noir.
    Dans le village malgache, les parents de la petite fille n’ont encore trouvé personne pour s’occuper d’elle. Quelqu’un leur parle de la Mission des Pères Blancs ; les bonnes sœurs s’y occupent de quelques orphelins. Durant quelques semaines, lorsque ses parents travaillent, la petite fille est donc confiée aux sœurs de la Mission.
    Elle aime bien cet endroit qui ne ressemble pas vraiment à l’école, et où elle retrouve un petit groupe d’enfants malgaches. Il y a des petites maisons blanches couvertes de tôle et une cour en terre rouge avec des arbres. Au milieu de la cour, il y a une grande statue blanche d’une dame avec une longue robe à plis et un bébé dans les bras ; c’est la Sainte Vierge. Les sœurs, elles aussi, habillées de longues robes blanches, sont gentilles. Chaque jour, les sœurs et les enfants se réunissent autour de la statue pour prier : il faut presser ses mains l’une contre l’autre et regarder vers le ciel, là où habite la vraie Sainte Vierge, et il faut réciter des sortes de poèmes pour lui parler.
    Pendant que les enfants plus grands apprennent leurs leçons, la petite fille, elle, dessine beaucoup. Les bonnes sœurs lui ont appris aussi une nouvelle méthode pour découper les images : avec la pointe d’une épingle à nourrice, il faut faire de petits trous tout autour de l’image et quand les trous sont assez rapprochés, on peut délicatement détacher l’image ; C’est plus minutieux et plus précis que les ciseaux; c’est surtout captivant. Devenue adulte, elle éprouvera le même plaisir à pratiquer la broderie.
    Plus tard, quand la petite fille reste à la maison avec sa nourrice Delphine, elle continue à découper les images avec une épingle.
    Mais elle garde aussi un secret que ses parents n’ont pas l’air de soupçonner. Quand elle se promène avec eux le soir au bord du Fleuve, elle regarde le ciel aux étoiles naissantes. Son père, qui est un ancien marin, lui parle des constellations, lui apprend à les reconnaître et à les nommer. Mais la petite fille se garde bien de lui révéler ce que cachent, en vérité, ces petits trous d’épingle dans le ciel, ni ce qui peuple les nuages au loin, chargés de pluie tropicale. Elle seule sait que dans les cieux habitent la Sainte Vierge, le petit Jésus, le Bon Dieu et peut-être bien le Père Noël. L’idée la remplit d’émotion mais aussi de terreur.
    Heureusement, elle a trouvé un endroit dans la maison, au fond de la penderie sous l’imperméable de sa mère, où elle se sent à peu près hors de portée de ces regards célestes.

Le cadre au verre bombé et à l’entourage de plastique contenait à l’origine l’image de Saint François Régis, patron des Jésuites. Il a été acheté sur internet le 20 juin 2007. La dentelle en papier provient d’une des nombreuses boites de calissons d’Aix que JC a mangés; ce sont ses friandises préférées.

 

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