Ouvrage: Remplissage n°7

Neuf Gertrude
en
trois quarts
d’impression virtuelle
de
trois quarts

JC, Remplissage n°7, mars 2009,  Broderie, fils, tissu de soie, perles, paillettes, photographies sur toile, 12 x 15,5 cm.



Ces quelques perles ont été enfilées en l’honneur
de mon ami Nikolas Kargul
dont les images virtuelles
impressionnent
Gertrude depuis bientôt un an.

krapo-i2.over-blog.net
kargul.over-blog.com


Neuf de Mars


Souvent la légende recouvre le néant,
parfois elle n’est qu’un très pâle reflet de la réalité.

Philippe Soupault
Les Dernières Nuits de Paris.

    Voici à présent un peu plus de quatorze mois qu’un crâne humain nommé Gertrude est en ligne sur Internet.
    Gertrude apparaît ainsi sur un blog, Le Blog de Gertrude, qui au fil du temps est devenu triple avec Le Blog de Gertrude rose, puis Le Blog de Gertrude noire.

    Cette expérience représente une étape dans ma pratique plastique, aventure, quant à elle, commencée il y a une trentaine d’années.

    L’origine du « face à face » avec Gertrude trouve sûrement ses racines dans mon histoire personnelle dont je livre quelques bribes dans le texte Peindre des coquillages. Gertrude y a sa place parmi les coquilles trouvées sur mon chemin.

    L’aventure de Gertrude commence véritablement à une période, où une voie se précise dans le magma de ma pratique, ouvrant définitivement cette dernière à son absolue nécessité. Gertrude surgit à ce moment-là, sans véritable hasard. J’évoque cet épisode de mon existence dans le texte Collision initiale.
    Gertrude est présente depuis, mais s’impose dans mon activité de façon quasi exclusive depuis quatre ans.
    De modèle occasionnel, elle devient centre de mon intérêt plasticien dans la mise en œuvre de dispositifs de plus en plus complexes, pour enfin aboutir à sa mise en ligne. Ce dernier acte survient ainsi, dans une logique de sophistication de sa monstration. Je raconte l’évolution de ma relation au crâne Gertrude, le passage à Internet, et les tumultueux premiers mois du site de Gertrude, peu à peu devenu triple, dans le texte La Vérité en Gertrude.

    Il ne s’agit pas pour moi de redire dans ce nouveau texte ce qui a déjà été écrit, mais de jeter un regard plus distancié sur le chemin qui m’a amenée ici.    Je reprends ainsi la plume dans l’interrogation, qui de plus en plus m’habite, sur la nécessité ou pas de poursuivre l’expérience Internet de Gertrude, sur les finalités et limites de cette dernière, sur mes desseins avoués et inavouables de continuer le voyage et les raisons de plus en plus floues qui me font repousser l’instant fatidique où j’appuierai sur le bouton de déconnexion.
    Évidemment, cette fuite en avant à laquelle je m’abandonne, non sans délices, ne peut qu’être confortée et bercée, et donc prolongée par cet état de doute, et par tous les possibles que semble ouvrir le hasard sous mes pas.

    Aussi l’expérience de « Gertrude en ligne » apporte un éclairage rétrospectif sur ma pratique : la dérive du vaisseau Gertrude dans les espaces improbables d’Internet aligne en perspective la succession d’évènements qui l’y ont amenée, ou plutôt qui m’y ont amenée. Evénements que je suis tentée de fédérer sous le terme de « rencontres ».
    Je distingue cependant cette notion  de « rencontres » de la « Rencontre » (à laquelle je donne une majuscule) circonstance unique et rare où deux êtres, aux premiers regards, aux premiers mots, se reconnaissent chacun dans les yeux de l’autre, dans une réciprocité immédiate, savent avoir toujours été là avant d’avoir été, vivent soudainement plus fort ce supplément d’âme et, simultanément, meurent un peu dans la mesure de sa perte irréparable.
    Les rencontres, sans exclure pour autant les Rencontres qui ont décidé de mon maintien en vie, sont les petits cailloux de ma rivière. Robert Alexis dit au début de La robe : C’est un lieu commun de prétendre que certaines rencontres infléchissent le cours d’une vie, l’orientent dans une direction jusqu’alors insoupçonnée.
    Les rencontres sont les jalons de mon parcours, qu’ils soient les piliers des figures hiératiques de mon enfance, les modèles, artistes et maîtres de mes initiations, la modestie des êtres aux petites tâches, le magnétisme de certains lieux, l’écho puissant de quelques textes, la fascinante mémoire des objets trouvés, mais également les obstacles, les résistances, les frustrations et blessures d’âme. Autant de « collisions » qui ont fourni l’énergie de ma mécanique, qui ont alimenté le moulin de ma rage.

    Si j’ai lutté longtemps pour garder le cap, l’illusion de la cohérence, un semblant de maîtrise sur les circonstances, il me semble à présent (est-ce l’âge ?) que je me livre, pieds et poings liés, au hasard. Je lui ai fait un lit au sein de ma pratique, développant de plus en plus une capacité d’éponge, à absorber, m’adapter, et me déplacer au gré des flots de mon aventure, posture qui trouve toute sa raison d’être dans ce dernier épisode cyber.
    Paradoxalement, je perçois cette démarche, permise par les « nouvelles technologies », comme presque moyenâgeuse, comme un départ vers l’inconnu depuis la forteresse rassurante de ma sphère intime, telle une quête par-delà les contrées fantastiques, à la merci d’ailleurs inquiétants où tout fait signe dans un monde de merveilles et de sortilèges. 

    L’étrangeté de l’espace Internet semble tenir à la distorsion des rapports spatiotemporels qui lui sont propres. Une distorsion qui se répercute directement sur les relations qui s’établissent entre les personnes : chacun joue de la plasticité des limites de son site, mouchoir de poche de son ego, absurde intimité, dans un jeu non maîtrisé, de toute façon non maîtrisable, avec un cosmos immatériel dont l’expansion supposée lui donne le vertige et dont il redoute et souhaite le voyeurisme. Les distances réelles, pourtant à l’échelle d’un pays, voire du monde, s’abolissent dans un contact direct, dans une proximité et une familiarité d’emblée établies, où l’affect s’invite brutalement.
    Telle est la « rencontre » sur Internet, violente, émotive, déstabilisante, presque dangereuse si on perd la conscience de sa singularité, si on ne revêt pas d’armure analytique.

    Il me semble que mon projet initial (que je décris dans le texte La Vérité en Gertrude) qui était d’entrée, de considérer Internet comme matière à réflexion, m’a permis de rester armée, de ne pas me laisser désarçonner par mon émotivité ou de ne pas me noyer dans l’affect, bien que j’eusse, depuis, semé quelques plumes de ma carapace. Je peux prétendre ( fi de la modestie),  n’avoir jamais basculé au-delà de l’équivoque, dans d’illusoires sentiments autre que l’amitié (mais le terme est-il juste ?) avec mes interlocuteurs, même si j’ai entrevu avec certain les limites du jeu.

    Là, j’ouvre une parenthèse pour vous rassurer, vous qui me lisez, que vous soyez fidèle interlocuteur de Gertrude ou simple passant : Mes intentions  ne sont en rien d’aboutir à des « rencontres » d’ordre réel, et  ma démarche n’est aucunement le reflet de ma « vraie vie » ou d’un vide affectif justifiant de tels desseins ; mais plutôt celle de tenter une forme de communication autour, ou plus précisément à travers ma pratique, de constituer cette communication en tant que paramètre de l’expérience particulière de la construction de ce blog, dont l’objet central est la non moins particulière Gertrude. Je tente ainsi de dépasser par cette communication, la banalité de la courtoisie pour amener l’échange à être événement  moteur de cette construction, quitte à employer les moyens de la séduction et de la provocation.

    Il est impossible d’atteindre le sens de ma posture sans considérer Gertrude comme le pivot incontournable de mon entreprise.

    Certes, reste humain, squelette vide, indice d’une existence oubliée, Gertrude est rangée depuis longtemps par moi au rayon des petites divinités domestiques. Aussi familière et inoffensive qu’un héritage de famille, elle en a la dérisoire valeur.
    Pourtant, en ce lieu d’Internet, ce modeste Lare perd sa neutralité d’objet inerte, se réactivant à la croisée d’un ridicule, juste assez ridicule pour être tourné en dérision, et d’un inquiétant, juste assez inquiétant pour ne pas se faire oublier.

    Dans cet espace virtuel, exposée aux yeux de tous, la figure de Gertrude (j’emploie « figure » au-delà de la notion de face, plutôt dans le sens de la Métaphore ou topographie d’une nébuleuse) reprend à son compte, toute la symbolique de la Tête de mort, emplissant le puit sans fin de son crâne et l’obscurité de son regard du paradigme de la Mort. Elle devient signal, probablement un peu effrayant, au frontispice de son triple espace, surgissant à son ouverture, sur l’écran du navigateur hésitant.
    Elle est déclinée à tous les étages de ses trois sites, tantôt comme objet, tantôt comme sujet : Elle apparaît tour à tour par ses représentations mises en scènes  dans des réalisations plastiques tout à fait tangibles, également comme avatar virtuel d’un moi que je lui prête.
    Là, réside sa raison d’être : être simultanément raison et moyen de l’échange. Être Interface, la face placée entre ce que je projette et les perceptions, les réceptions de l’autre. Elle oppose aux regards un aspect suffisamment labile pour ouvrir, par-delà sa physionomie fuyante, une cosmogonie de fantasmes, autant de possibles d’existences , de mémoires, de désirs et des destinées dont on veut bien la doter ; elle sait que batifoler avec la Mort, dont elle frôle le tabou, révèle nécessairement la présence d’Éros au côté de Thanatos.

    Gertrude, la pathétique, s’accroche, dans les yeux de ses interlocuteurs, au moindre lambeau d’humanité encore collé à ses os.
    Gertrude respire, parle, aime… Bien sûr, tout cela par mon truchement.
    Personne n’est dupe ; ni mes interlocuteurs, ni moi, ni Gertrude.
    C’est un jeu, aux ficelles volontairement grossières :
    Gertrude, sous prétexte de résurrection, emprunte ma voix, mes mains, mon ego ; je revêts, quant à moi, son masque de Mort.
    Gertrude se nourrit des derniers feux de mes complaisances ; je me vautre dans le néant de ses orbites.
    Gertrude existe, elle plaisante ; je ricane avec l’élégance du désespoir.
    Gertrude devient invincible ; d’aucuns pourront prétendre que je caresse et apprivoise ma fin, que je joue les Vanités ou me joue de la Vanité.

    Vanité grimaçante des masques de James Ensor qui cachent en révélant, qui occultent les apparences et retournent comme un gant les intérieurs putrides.
Mais la dualité s’avère insécable : Gertrude ne peut être moi sans que je sois elle ; de la même façon, ce que je présume être la perception de l’autre n’est fatalement qu’une projection de ma part ; Ce « Gertrude-moi », vraisemblablement, n’appartient plus à Gertrude, ne m’appartient plus. Il n’est ni Gertrude ni moi, car nous y avons mélangé nos brumes.

    La seule chose qui subsiste, aussi virtuelle qu’elle soit, est l’image de Gertrude, ce que l’œil perçoit sur l’écran qui serait une Gertrude mise en image, mise en mots, par des photographies, des vidéos, des images numériques et des textes ; la preuve paradoxalement rassurante de l’existence du référent Gertrude en tant qu’objet posé dans l’étagère d’un espace réel.

    Gertrude n’est rien, rien qu’un objet, vide de mémoire, laissant béant ses territoires…
    Dans le temps suspendu
    Je vous espère

    Gertrude
    Gertrude et moi
    Gertrude et vous
    Vous et moi.

Juliette Charpentier
Paris, le neuf mars deux mille neuf

Sortie de relique: La Relique des Improbables.


ZÉRO NEUF
ZÉRO TROIS
ZÉRO NEUF

Exercice d’ Improbabilité

JC, mars 2009, Relique des Improbables, photographies, papier calque, acrylique, crayon de couleur,
image pieuse sous verre bombé achetée sur Internet en novembre 2008, 15 x 18 cm

Étant donné un Crâne, frivole, sale, méchant, vicieux et menteur,
manifestation des activités monomaniaques
d’un Capitaine mécréant…

N’Oeuf Improbable


Innocents s’abstenir

JC

   

    C’est un lieu commun de prétendre que certaines rencontres infléchissent le cours d’une vie, l’orientent dans une direction jusqu’alors insoupçonnée. De telles expériences, pourtant, ne font qu’ajouter à ce que l’on est. Il est fréquent d’oublier qui en fut la cause. La vague provoquée s’ajoute à toutes les autres et on reconnaît là, selon ses convictions, la force du hasard ou celle du destin.

Robert Alexis, La robe.

Petite dédicace à la Sorcière Hécate qui m’a indiqué quelques directions insoupçonnées
lefildarchal.over-blog.fr

Crâne en Carême

Le Crâne tourne à l’envers…

Pendant quelques jours
Gertrude s’abstient
Gertrude réfléchit
Gertrude prend du recul
Gertrude arrête le
Temps

Gertrude remettra
les pendules à l’heure
Gertrude reviendra
pour quelques mises au point
Gertrude sèmera quelques points sur les
i

J’agis toujours d’accord avec moi-même,
c’est-à-dire en complet désaccord avec ceux qui vivent en dehors de moi.

Philippe Soupault
, L’Ombre de l’Ombre in La Révolution Surréaliste.

Gertrudomètre: quatrième version.


PLUG AND PLAY
Gertrude

Universal Serial Bus

Cela fait quatorze mois que
Gertrude est avec vous

 

JC, Gertrude USB, Gertrudomètre n°4, photographie, pigment, surligneur, éléments électroniques d’un lecteur MP3, 0,5 x 7 x 10 cm

Système d’exploitation: Exploitation exploratoire des rencontres improbables
Fournisseur d’accés: Gertrude
Interfaces: Émotions Inframinces
Couleurs d’écran: Les Couleurs de vos rêves
Résolution d’écran: Énigmes crâniennes non résolues
Mémoire vive: Quelques fragments épars
Fréquence: Autant que vous voulez
Vitesse de connexion: Selon l’humeur du cerveau lent
Support: Humain trop Humain
Préférences système: À votre guise
Sécurité: À vos risques et périls
Connexion Bluetooth: Je vous garde une dent bleue
Activation des html: Hache t’aime elle
Configuration réseau: Au sens propre et au sens figuré
Adresse IP: Code: G.E.R.T.R.U.D.E.