Le bruit de la Peinture: L’Exception au Capitaine n°6

 

 

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Le temps me manque et la peinture fait du bruit.

 

Elle tinte à mon oreille pour me rappeler mon devoir aux pinceaux, aux tubes de peintures abandonnés au fond de l’étagère, au grand châssis qui sommeille dans le placard.

Ne pas peindre est comme ne rien faire, pas au sens « rien faire » physiquement mais plutôt dans celui « rien ne se fait »  ou « rien ne se produit » dans un temps déroulé inutilement. Pourtant cela fait quelques années que je ne peins plus vraiment, mais cette sacrée peinture ne se tait pas pour autant.

Il faut dire qu’un jour je suis devenue peintre et que depuis je ne peux penser mon travail plastique qu’en tant que peinture. Ce basculement s’est produit avec une rencontre, celle d’un texte et une image, sorte de collision que je raconte ici . Judith biblique, Judith de Klimt qui m’ont réveillée peintre un jour, alors que je répétais inlassablement sur le papier et la toile les formes de cette décollation, au point de les décoller elles-mêmes de leur référent.

La peinture, à mesure qu’elle devenait abstraite, était frénésie et s’imposait en nécessité dans toute son autonomie de matière résistante et pourtant si addictive. Je crois avoir déjà écrit combien la peinture est capable de prendre le pas sur n’importe quelle image pour encore mieux la sublimer en la révélant dans un retournement de la vision, pour qui sait la ressentir et la voir ; qu’ au delà de la couleur et des pinceaux, de la cuisine qu’elle implique, la peinture a une forme de pouvoir sur les sens, un pouvoir de fascination quand elle atteint ce point subtil d’équilibre entre l’image qu’elle forme (qui n’est pas nécessairement figuration) et sa pure matérialité, quand elle amène le regard à osciller entre l’une et l’autre.

Je pense être devenue peintre quand peindre fut en même temps faire et voir intimement intriqués, et qu’il ne s’agissait plus pour moi de reproduire une image réelle ou mentale, mais parvenir à l’émotion, celle « qui fatigue le cœur » comme disait un de mes vieux professeurs au Beaux Arts, celui qui m’a surement tout appris.

Ce qui fait que peindre est une bataille mortelle qui doit être menée jusqu’au bout. Car rater en peinture est intolérable et torturant : c’est la confrontation avec la peinture dont on n’a pas réussi à percer la croute, celle-là même qui ricane, sale méchante et obscène, mauvaise tripe mise à nu par mégarde comme un sentiment honteux. La seule issue en est la poubelle, les oubliettes, l’oubli pour recommencer encore et encore, pour réussir ou rater encore.

Le cap de la peinture est irréversible et une fois engagée dans sa tourmente il me fut impossible de m’en défaire au point d’appeler « peinture » des activités qui semblent pourtant en être éloignées. Ainsi à la question toujours très embarrassante « Que faites-vous comme travail plastique ? », je ne peux répondre que « De la peinture. ».

Je me suis pourtant singulièrement éloignée de l’acte de peindre, et ce depuis que j’ai exhumé de l’oubli le crâne de Gertrude. Mon activité autour de cet objet serait plus de l’ordre du bricolage et du touche-à-tout que de la peinture.

Avant cette période « gertrudienne » je pratiquais la peinture en tant que telle, pour la peinture; la peinture était sa propre raison, son propre prétexte, sa propre motivation, elle n’existait que pour elle-même en cercle fermé; à présent la peinture comme utilisation de couleurs et de pinceaux, se retrouve accessoire dans l’entreprise que vous connaissez ; elle intervient ponctuellement au service des mises en scène que nécessite le show permanent de Gertrude en ligne.

On pourrait trouver tous les prétextes à cette mise à distance avec le médium peinture : manque de place, de temps, odeurs et salissures.

Mais force est de constater que dans le dialogue exclusif entre la peinture et moi, Gertrude s’est immiscée, interposée. Mieux, elle s’est imposée, quittant imperceptiblement et insidieusement sa place de simple motif ou objet pour devenir sujet, sujet d’elle-même, tenant tous les emplois à la fois dans sa petite fenêtre ouverte sur le monde, observée et observant.

Elle a, en quelque sorte, endossé le rôle de la peinture dans ma fatigue cardiaque et mon désir de vertige.

Gertrude, au lieu de voler sa place à la peinture, aurait pu être ce qu’elle fut un certain temps, simple motif à peindre. Cézanne ne disait-il pas qu’il n’y avait rien de plus beau à peindre qu’un crâne ? Pour cela il faudrait que Gertrude soit un simple crâne et qu’elle arrête de communiquer par d’autres truchements que celui de sa forme.

Exactement de la même façon que la tête de Judith, le collier carré d’or qui la décapite si bien, dans une reproduction noir et blanc d’un tableau de Gustav Klimt, ont pu se détacher de leur référent pour devenir les miens, pour me livrer la peinture dans l’espace béant de leur décollation.

Gertrude, elle, est la grande décapitée, décapitée de son corps physique, décapitée de son apparence et de son histoire, décapitée en temps qu’inconnue, simple indice d’une vie à jamais disparue, réceptacle complexe de toutes les légendes.

Gertrude est décapitée d’avance, elle n’a d’autres choix que d’être crâne ou mythe, stéréotype ou individu, néant ou être. La peindre, la représenter revient à aplatir la complexité de cette relation, et à solder de tout compte le dilemme de Gertrude avec son image.

Jamais l’impuissance de la peinture, celle que Gérard Gasiorowski   évoque si bien dans son œuvre, ne m’est apparue de façon si évidente que dans mon travail autour de Gertrude ; comme le retour brutal à la matérialité de la croute, à la « muraille de peinture » totalement inapte à satisfaire le jeu de la mort et du hasard . D’où cette cosmogonie absurde de Gertrude, sorte de Merzbau virtuel qui ne tient que sur une scansion temporelle arbitraire et la superposition dans le matériel et l’immatériel d’objets hétéroclites, mais dont je ne maitrise plus les limites ; comme pour défendre la thèse que la seule cohérence possible de Gertrude reposerait sur la cohabitation chaotique de son état mort avec son existence supposée.

Ce qui fait probablement de Gertrude  le motif le plus abstrait qui soit, bien plus que sa grande sœur Judith, image de la décapitée décapitante, pas si décapitée car décapitante, et à l’évidence passeuse d’une tête à l’autre, de Peinture à Gertrude.

La peinture comme Gertrude ou Gertrude comme la peinture, ou encore Gertrude/Peinture ne se laisse oublier à aucun instant tant elles sont liées dans un amour à mort, chacune reprochant à l’autre ses impuissances à la satisfaire, mais s’essayant l’une l’autre éternellement, de manière vainement aporétique.

 

Ainsi cela fait à présent un an et demi que j’ai entrepris de peindre à partir d’une image de Gertrude.

L’image de format A4 en noir et blanc, au départ photographique, représente le crâne de face du point de vue le plus frontal et le plus neutre et cadré au plus près ; je l’ai postérisée à l’aide d’un logiciel infographique, poussant le phénomène jusqu’à réduire les données de l’image à un système de points ou de conglomérats de points plus ou moins serrés selon la densité de l’image.

Cependant, ces points, bien que globalement répartis de façon à restituer les contours et les valeurs d’une image reconnaissable, semblent, en regardant de plus près, répondre à une organisation totalement chaotique et arbitraire pour l’oeil, celle probablement que calcule la machine logiciel/ordinateur face à des données qui se résument à des systèmes de contraste et concentration de pixels.

La postérisation   « dégrade » ainsi les données de l’image pour les remplacer, au dépend de la netteté et du détail, par des parasites numériques, encore appelés « bruits numériques ». Chaque « bruit » a sa forme autonome et possède même une gamme de valeurs qui lui donne une sorte de profondeur.

 J’ai ensuite quadrillé l’image, ainsi dématérialisée et numérisée, en  cinquante quatre  cases, pour agrandir chaque case en peinture sur des formats papier carrés de cinquante sur cinquante centimètre ; à l’heure où j’écris ce texte, il me reste une dizaine de cases à peindre (Je m’étais donné comme objectif de terminer ces peintures pour aujourd’hui mais le temps m’a manqué) et j’obtiendrai au final une peinture d’environ quatorze mètres carrés, une surface plus grande que celle de ma chambre à coucher.

 

Chaque carré de peinture est une image abstraite, celle du bruit de l’image de Gertrude.

Le bruit de Gertrude.

Le bruit de la Peinture.

 

Juliette Charpentier,

Paris le neuf avril deux mille treize.

Le Trousse Os : Tenue de ça-été*

 

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JC, 2013, Trousse-Os,  Cendres tièdes, tissu de coton, fil, bouton, dimensions variables.

 

La Crâne-Story a entamé sa sixième saison

sur les troubles canaux du virtuel,

sans se découvrir du fil du matériel.

Il est donc grand temps pour Gertrude

de sortir sa collection de Os couture.

 

Pour l’été qui promet d’être Show

elle prévoit la nuisette

Cendres tièdes en lin seul,

idéale pour contempler

le crépuscule au bord de l’Os.

 

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Cinq ans et trois mois d’Os opéra:

les nuits d’été vont être torrides!

 

 

La Rose espère le printemps, La Noire retient l’hiver.

 

 

  *Référence arbitraire aux écrits de Roland Barthes

Le Trousse Os : Tenue de Printemps sous X

 

 

 

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JC, 2013, Trousse-Os, Fleur de Pissenlit, tissu de coton, fil, boutons, dentelles, dimensions variables.

 

Gertrude a toujours rêvé rouler sa bosse

dans les fleurs en couronnes.

Pour fêter les printemps

dont elle a perdu le compte,

elle portera Fleur de pissenlit

et filera le parfait à mort à l’ombre des cyprès.

 

 

Cela fait exactement cinq ans et trois mois

qu’une crâneuse styliste

taille des costards à Gertrude,

toujours avec des fleurs.

 

 

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Ça était sur Gertrude et c’est encore l’hiver sur Gertrude Noire

 

 

 

 

Le Trousse Os : Tenue d’Hiver éternel

 

 

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JC, 2013, Trousse-Os,  Neige fatale, fausse fourrure acrylique, fil, boutons, galon doré, dimensions variables.

 

 

Neige fatale

pour cueillir les edelweiss en bas de la pente.

 

Cela fait cinq ans et trois mois

que Gertrude fait l’hiver et le beau temps

sur les podiums d’Internet

 

Gertrude a la nostalgie de l’été et Gertrude Rose rêve au printemps.

 

 

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