NEUF D’AVRIL
Date fatidique
où le Jeu de Gertrude
devient un Je
La boîte à Cache à l’Os
ou exercice d’autophagie
GERTRUDE
est définitivement
MORTE*
*ça vous étonne?
Le Capitaine vous remercie de votre participation et vous souhaite bonne continuation
*Il est grand temps
de déboucher les flacons :
Ça commence à sentir l’Os crâmé
et le Lard en frit.
La preuve :
Et les petits pois sont rouges p’t’être ?
Anne Hecdoth
Je vais les sniffer et la chair va me pousser sur l’os, et un corps vert de petit gris va se reformer sous mon crâne, et je retrouverais ma longue langue à slurper les ossatures féminines…
Hedgarallaan
À cheval sur la dernière planche pourrie de mon radeau, médusé…
Vincent
Eurf :'(
Capitaine Tote
vous l’ouvrez quand ce bocal ,qu’on déguste en choeur le contenu ?
La Magicienne
Je vole de ce pas rêver des petits poissons dans l’eau qui nagent aussi bien que les gros…
Sophie D
JE VAIS FAIRE LE CROQUE-MORT POUR VOUS REVEILLER !!!!
Hécate
vous êtes la maîtresse es cruauté de l’extrême !
Plaiethore
Dois-je vraiment commencer mon travail de deuil ?
Anne Hecdoth
GERTRUDE CHANGE DE NOM : ELLE S’APPELLE DESIREE
Hécate
entamons camarades torturés une grève de la douche !!!
Plaiethore
Avec ce qui tombe comme flotte ,en tant que Capitaine ,elle nous mène en bateau …
Hécate
Les odeurs vont peut-être la décider à nous baigner de sa colère.
Plaiethore
elle prépare peut-être un n’ OEUF de Pâques
Hécate
Devant la pression insoutenable exercée par son équipage mutiné et mal lavé
Le Capitaine cède et met le bocal en perce.
Gertrude et Albert
vont au Vernissage.
Gertrude et Albert se rendent ensemble au vernissage de l’exposition des peintures de Lucian Freud* au Centre Pompidou.
Je tiens à préciser tout de suite que toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes serait fortuite et tomberait comme un poil de fesse sur un os à moelle.
Il se trouve juste par le plus grand des hasards (mais le chemin de Gertrude est toujours semé de hasard, sinon il ne serait pas) que « Gertrude » est aussi le prénom d’une grande collectionneuse d’Art, et « Albert » celui d’un très grand scientifique. La rumeur dit que la première était carrément (même cubiquement ) folle au point de miser sur des peintres tordus dont le nom commence par P, et que le deuxième était un surdoué autiste qui s’exprimait en un langage codé tout à fait relatif.
Bon, je m’égare…
Cela pour vous dire que Gertrude, que je ne vous présente plus, a rencontré Albert lors d’un vernissage de broderies vaniteuses en septembre 2009 et s’est adonnée depuis, avec lui, à quelques exercices d’anatomie comparée (aussi ici et ici).
Albert, coutumier de ce genre de manifestations culturelles, a donc invité Gertrude au Vernissage, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit d’un vernissage pour V.I.P. (Vrais Impotents de la Peinture).
Vous pensez bien que Gertrude est fière ; elle a même mis un peu de poudre pour se rosir l’os, tant elle n’a pas l’habitude de briller en société. Elle est d’ailleurs très impressionnée, non seulement de constater qu’Albert a réellement la carte ad hoc pour pénétrer dans ce cercle très fermé (avec portes blindées intégrées) mais aussi de se trouver en présence d’une foule de V.I. de la Presse ainsi que de V.I. de la Politique.
Tout ce beau monde se bouscule en rangs serrés et Gertrude a beaucoup de difficultés à rassembler ses esprits animaux et à réemboîter ses mandibules, pour ne pas sombrer dans une monomaniaquerie ethnologique délétère, si chère à ses vices de misanthrope mais susceptible de lui boucher les orbites et lui faire rater l’essentiel, à savoir la Peinture. Et ceci malgré son admiration inconditionnelle pour Claude Levi-Strauss, le chantre du Bricolage et de l’observation de la Nature humaine.
Mais la Peinture l’attend, terriblement présente, invraisemblablement dégueulante, puante de splendeur, terrifiante et magnifique.
Elle est là, tout simplement partout, dans ces ventres abandonnés, dans ces cuisses endormies, ces mains sans complaisance, ses plantes pourrissantes ; elle rampe sous la peau des murs, dans les fleurs de la couverture, dans les tas de chiffons ; débordant des canapés défoncés et des lits naufragés, elle attire le regard dans une vertigineuse plongée, pour l’achever à coup de lattes abstraites tout en bas d’un parquet à la Caillebotte. Puis comme une machine infernale, elle renvoie l’œil se désorbiter sur les sexes, rouges comme les engelures bouillantes des pieds turgescents de cette fille émouvante dans l’embrasure, centraux comme le messie d’un jugement dernier. Enfin, elle revient triomphante, dans l’autonomie totale de son épaisseur, dégoulinante, en chef-d’œuvre in-connu, former « muraille de peinture »1, et grignoter, dans une mise en abyme d’elle-même, aussi bien l’espace du tableau que l’espace de l’atelier.
Car la Peinture, en ce lieu, est chair, « fonctionne comme la chair »2, présente la réalité pathétique de la chair tout en la représentant, expose sans pudeur et sans détour la frontalité putrescible des viandes animales et végétales. Et cette peinture ne se contente pas de s’incarner dans des nus époustouflants, des corps à corps sans artifice, mais pousse la crudité à occuper le moindre pouce carré (unité de mesure anglo-saxonne) de chaque tableau, ce qui fait in fine un vrai territoire en pays conquis.
Gertrude se sent elle aussi complètement colonisée, aliénée ; elle ne s’appartient plus, elle n’a plus toute sa tête. Car la Peinture lui a volé sa tête : elle joue avec comme avec un punching-ball, à grandes claques de chair, l’envoyant bouler d’un bout à l’autre de l’espace. Gertrude sent son os vaciller, se liquéfier, s’élastifier.
Elle rebondit d’un mur à l’autre en hurlant « Naked ! Naked ! Naked ! », comme un nouveau cri de guerre faisant résonner ses pariétaux d’un écho charnel oublié, comme l’incantation désespérée d’un os qui ne s’est jamais senti aussi proche de redevenir corps.
Si Gertrude n’était pas déjà tête nue, elle se mettrait à poil séance tenante.
Gertrude est tellement emprisonnée dans les draps maculés de la peinture qu’elle en a complètement oublié le beau linge qui l’entoure. Heureusement, personne n’a remarqué son délire ; ce beau monde est, d’ailleurs, occupé à bien autre chose qu’à regarder la Peinture, lui. Ce qui est sûrement préférable car cela ferait un beau désastre, certaines confrontations étant parfois d’une rare violence…
Enfin, ces gens ne sont pas fous, eux : ils savent très bien que les vernissages n’ont jamais été faits pour regarder la Peinture, mais pour avoir l’occasion de se retrouver entre personnes utilisant les mêmes codes de représentation. Il est toujours rassurant et gratifiant de se sentir en famille. Il est donc inutile de vérifier que les tableaux accrochés au mur ont toute l’innocuité requise à ce cocon préservé, puisqu’ils ont la bénédiction de l’Institution ; on ne peut que les aimer, cela tombe sous le sens. Et tout le monde s’aime, bien sûr ; quelle idée !
Et le plaisir est à son comble quand l’artiste est là…
Gertrude retombe brutalement sur le parquet des réalités; elle a senti comme un souffle, comme le frôlement d’aile d’un grand oiseau… Le maelström se creuse dans la foule serrée des invités. Soudain, au centre de la tourmente, elle le voit, elle le reconnaît, le VIP (Very Inouï Peintre), le seul… Avec son corps, sec comme un chien de ses peintures, son œil clair de faucon, dans lequel elle entrevoit, l’espace d’un instant, une liberté océanique ; car le temps n’a plus d’importance face à ce magnifique vieillard dont la présence efface le bourdonnement excessif de ses admirateurs.
Gertrude murmure tout bas « Lucian » comme un mot doux et tombe instantanément amoureuse.
Peu importe que Gertrude ne fasse pas partie de cette camarilla, elle vient d’avoir sa minute de bonheur absolu, le miracle de l’incarnation, la Sainte Trinité Picturale, la Peinture, la Chair de la Peinture et le sourire du Peintre.
Gertrude est fière.
En plus, elle est le seul crâne…
Mais quoi ? Qu’est-ce qu’elle raconte ? Mais non, elle n’est pas le seul crâne, ici… Elle se rappelle qu’elle est venu avec Albert, le crâne scientifique. Mais, où est-il donc passé ? Elle est impatiente de lui raconter son expérience exceptionnelle, de partager avec lui ce moment inoubliable. Enfin, elle le voit. Heureusement Albert a mis pour l’occasion des lunettes de couleur rouge ; il a dû voir ça sur Internet, en surfant sur les blogs sur l’Art, et a voulu se donner un petit air branché. Cela permet au moins à Gertrude de le repérer dans cette foule (Gertrude, elle, a des lunettes à carreaux, mais c’est juste pour voir et non pour être vue).
Albert, imperturbable, regarde chaque tableau, lit consciencieusement chacun des textes écrits en gros sur les murs ; ces textes permettent au visiteur de ne pas repartir idiot et d’avoir le sentiment que la peinture leur a été expliquée (heureusement qu’ils ne connaissent pas tous les performances de Joseph Beuys).
Albert, en crâne sérieux et scientifique, prend des notes dans un petit carnet ; Gertrude constate que c’est le même que celui tout corné du Capitaine qu’elle a en permanence dans son sac à main pour griffonner ses élucubrations de crâneuse quand elle s’ennuie dans le métro. Il paraît également que Hemingway et Picasso en avaient un, mais je soupçonne là un argument marketing.
Bref, Gertrude est toute contente de retrouver Albert, mais ce dernier semble bien trop occupé à rentrer toutes ces données et ces informations dans son cerveau scientifique pour perdre son temps à faire la conversation ou exprimer une quelconque émotion. Gertrude se sent bien bête et se souvient, qu’à son habitude, elle a encore laissé le peu d’entendement qu’elle possède à l’entrée de l’exposition pour ne garder en éveil que ses esprits animaux.
Elle en ressent brusquement une énorme colère et une grande tristesse.
Dans l’escalator qui les ramène au rez-de-chaussée, elle ne parvient même pas à contempler les toits de la capitale, spectacle qui lui est familier mais qui, comme l’océan de son enfance, est en permanente mutation.
Un hurlement enfle au fond de son crâne, terrible, lancinant.
Elle a envie de crier :
« Mais Albert, que ressentez-vous donc devant cette FUCKING NAKED PEINTURE ? »
Mais aucun son ne franchira sa mâchoire bloquée. Elle se raccroche désespérément à un faible espoir : Et si Albert, avant d’arriver en bas, brusquement, laissait s’exprimer son émotion , comme Jean-Pierre Marielle dans une œuvre cinématographique culte, célèbre anthologie de la Peinture :
« Ah ! Nom de Dieu de bordel de merde ! Quel cul !3 ».
Mais non, Gertrude et Albert sont déjà sur l’esplanade ; il fait froid, et Gertrude ne saura jamais si Albert est un crâne scientifique dénué de sentiment, un surdoué autiste ou tout simplement un grand timide.
Puisque c’est comme cela, Gertrude reviendra en compagnie d’Hedgarallaan son défunt transi de l’espace. Il joueront à touche-occiput devant les nus et se rouleront des pales os au cul de Freud, petit fils de.
Et Hedgarallaan dira :
« Je vais le peindre en vert, en bleu, en rouge, en jaune…3 »
JC,
Paris le 13/03/2010
1- Le Chef-d’œuvre inconnu, Honoré de Balzac.
2- Lucian Freud.
3- Les Galettes de Pont-Aven, Joël Seria, 1975.
*Lucian Freud, Centre Georges Pompidou, 10 mars – 19 juillet 2010
Mais tout ceci n’est qu’une fiction.
Bien heureusement il existe de vrais Amateurs d’Art :
lunettesrouges.blog.lemonde.fr
Laissez-vous guider, vous aurez l’impression d’y être.
Vous économiserez le prix du billet d’entrée,
mais vous ne mourrez pas idiot.
Pour l’occasion
Gertrude rose
enlève le haut
Gertrude noire
enlève le bas
Un calme monumental recouvre tout, engloutit tout. Une trace subsiste, une. Seule, ineffaçable, on ne sait pas où d’abord. Mais quoi? ne le sait-on pas? Aucune trace, aucune, tout a été enseveli, Lol avec le tout.
Marguerite Duras,
Le ravissement de Lol V. Stein
HURLER
POUR RESTER
VIVANTE
Nous sommes le Neuf de Mars
et Gertrude est en Colère !
UNE COLÈRE NOIRE
UNE COLÈRE DÉCHIRANTE
UNE COLÈRE DE CHAIR
Mais elle se retient…
Oui, elle se retient..
Et son Hurlement
N’en sera que plus fort
N’en sera que plus terrible
Et de
Sa Liberté proclamée
Le seul miroir dans lequel elle
se regarde chaque matin
La seule eau dont elle se
désaltère
Le seul océan dans lequel elle
veut bien se noyer
Ne vous attendez pas
à ce qu’elle soit polie, policée,
docile, consensuelle, agréable,
sociable…
Non, Gertrude est Misanthrope
Gertrude est insolente
Gertrude se moque de tout
et
Elle se moquera jusqu’au bout…
Car…
Prochainement :
HOMMAGE À LUCIAN FREUD
En attendant vous pouvez toujours lire
La chair de Gertrude
Dites
N’oubliez pas que
Gertrude Rose et Gertrude Noire
comptent aussi
L’exposition C’est la vie* au Musée Maillol est de ces manifestations parisiennes qu’il est de bon ton de dénigrer, sans toute fois avoir négligé d’y avoir traîné. Et à défaut d’arguments, d’y avoir au moins traîné pour prétendre y être allé ; et, à défaut d’y être allé, de prétexter ne pas y avoir traîné pour avoir eu vent de quelques dénigrements à son sujet.
En bonne crâneuse à la vanité décomplexée, je n’ai pas dérogé au phénomène, puisque j’y suis allée bille en tête ; à la différence de certains, j’ai laissé mes matières molles pendre au clou du marchand du temple des audiophones, après avoir réussi à grappiller quelques euros de réduction avec ma carte du FBI ( Fieffé Bonobo Indéterminé ou Folle Bête Indigne).
Je vous ferai grâce de mes élucubrations personnelles et approximatives sur les résonances duchampiennes du titre de l’expo au fond de ma calebasse, ready-made en os livré en l’état.
Étant peu informée de nature et préférant les statut de l’informe, je reconnais que je me rend rarement dans les expositions sur avis ; ces derniers ont souvent un effet pervers sur mon comportement : ainsi trop d’enthousiasme aurait tendance à me plonger en catatonie (c’est comme cela que j’ai raté l’incontournable et indispensable film titaniquesque de James Cameron) et l’éreintement massif entraînerait chez moi un accès de curiosité malsaine avec poussée aigue de boutons à purulence contradictoire.
Aussi, me suis-je rendue au Musée Maillol, le crâne vide, le cœur léger, l’intellect innocent, telle Perrette et son pot à laid partant pour la foire aux crânes. Mes spéculations de monomaniaque de la boîte vide ne furent point déçues : je parcourus avec une jubilation toute infantile les trois niveaux d’un grand déballage osseux, me remplissant l’orbite de toute la débauche rutilante de cette belle chute d’os.
Je dégustai sans modération dans les gamelles creuses de Subodh Gupta, entre autres friandises, le sang de Michel Journiac et les asticots en résine des frères Chapman, je donnai un coup de langue râpeuse sur l’huile de Zurbaran, croquai à pleines dents dans les légumes de Dimitri Tsykalov, me gavai de morte adèle géante avec Christian Gonzenbach .
Je me dessillai les globes dans les petits miroirs des anamorphoses cylindriques, versant au passage une petite larme de crocodile frustré sur l’absence inacceptable du plus grand Objet Visionnaire Naturellement Incongru peint par Holbein pour faire trébucher de beaux Ambassadeurs .
Je faillis rester collée sur l’os merveilleusement pâteux de Cézanne, engluée dans mon regret d’Art Ensor .
Je me mirai dans l’os argenté du miroir poli de John Armleder, telle une belle vénitienne parée des fabuleux bijoux de Codognato .
Je me fendis carrément la poire et me secouai les fontanelles devant la tronche de miquémaousse post mortem, précieusement conservée par Nicolas Rubinstein et je me tins les côtes devant les travaux de tapisserie de Daniel Spoerri.
Je ricanai en prenant mon air le plus grinçant devant le somptueux et baudelairien manteau de charogne des mouches de Damien Hirst ; par contre je me suis retenue de trop me marrer devant la caboche en gauloises bleues de Serena Carone, vu les tonnes de golduches sans filtre que j’ai pu fumer par le passé…
Non il n’y a pas de quoi rire…
Je sais, ce n’est pas bien, tous ces crânes sont là pour délivrer leur funeste message : Souviens-toi que tu vas mourir ! (les plus snobs le diront en latin).
Surtout que, de retour chez moi, devant ma fenêtre ouverte sur le monde, toute virtuelle soit-elle, je me suis prise au jeu de la navigation en os trouble, m’aventurant hors des marais putrides dans lesquels je me complais d’habitude ; j’ai pu ainsi prendre la mesure de l’abondante et diverse fortune critique de cette petite exposition pleine de vieux, croyant débarquer avec leurs audiophones à la journée porte ouverte de la Faucheuse. Je constatai avec effroi la richesse et l’érudition étalées des propos et en bonne militante écolo, défenseuse du pixel solitaire, la somme d’électricité et d’usure de clavier que représentait toute cette ébullition intellectuelle ; au fur et à mesure de mes lectures, je commençai par effacer le sourire bêta de ma face grimaçante, tant je me rendais compte du sérieux que j’aurais dû afficher lors de cette visite, et il me prenait une envie fourmillante, tel un boisseau de vers se repaissant de chairs putrescentes, de me lancer à mon tour dans un exercice d’intense réflexion, activité peu commune à ma caboche rouillée, et la tentation de passer, une fois n’est pas coutume, pour une personne intelligente et sérieuse. En bref, il était urgent pour moi de commencer à disserter sur le concept de Vanité, monument incontournable de l’Histoire de l’Art… Conclusion, vous l’imaginez bien, à laquelle il est difficile de ne pas arriver sans quelques sueurs froides; car quiconque affronte la Vanité est confronté à ses propres desseins vaniteux.
Même si l’idée de rivaliser avec les commentateurs brillants dont j’ai pu lire les notes ne m’a point effleurée, il subsiste chez moi, accrochés à mes ossements, quelques lambeaux d’instinct de compétition et de conformation, si chairs aux génies des alpages que nous sommes. Et c’est probablement là que le retour à la poussière promis par toutes ces têtes en os me sauve de l’anéantissement et d’une honte fatale : car si vous me suivez bien, vous comprendrez que j’ai beau vous saouler depuis le début de cette page du trop plein de vacuité de mon crâne, je n’en serai pas moins à égalité, et c’est là que cela devient injuste, avec les esprits brillants et sérieux quand sonnera l’heure finale.
Cela ne m’empêche pas du fond de mon insolente et vaniteuse bêtise, de compatir au désappointement de certains devant cette accumulation indigeste de crânes, qui pourrait bien, horreur, tourner au phénomène de mode, parangon de l’inconstance et de la futilité humaine, comble de la Vanité éphémère, devant ce déballage excessif et vulgaire de faces de mort au stéréotype à spectre large qui scande, autant de fois qu’il y a de têtes de pipes, un message tout ce qu’il y a de plus clair à la portée du plus grand nombre.
Car, en effet, il y a sûrement beaucoup plus subtil et élégant pour représenter la Mort qu’une orgie d’ossements et de calebasses grimaçantes ; il me semble même que l’œil averti aux faits iconiques et plastiques trouvera meilleure nourriture à sa jouissance intellectuelle à suivre l’ombre de Thanatos par des sentiers moins évidents, à travers des œuvres moins « lisibles » ; et que Thanatos prend chair, sans besoin d’os, en ce corps d’Eros désirant qu’il soit peinture, sculpture ou tout autre matérialité sensible.
Ainsi, la Mort ne rampe-t-elle pas, dans toute son horrible splendeur, dans l’œuvre monumentale de Boltanski au Grand Palais, autre lieu incontournable des déambulations « intellectuelles » de la Capitale ? Car, dans cette espace immense et glacial structuré par la minéralité du fer et du verre, le corps du spectateur ne peut qu’être confronté , saisi, happé par le trou noir de ces corps absents, du vide de ces amas de hardes, par la pulsation évanescente de centaines de cœurs qui affolent ses propres fonctions vitales dans une course impossible vers une obscurité inexorable.
Il en est ainsi d’innombrables œuvres, miroirs fragiles de nos âmes, vomissures désespérées de l’artiste à qui veut bien en être éclaboussé.
Mais que cela soit le chaos textile de Boltanski, les décomptes en voie de disparition d’Opalka, de la blancheur des toiles de Ryman, de l’or jeté à la Seine de Klein, des expériences picturales ultimes de Gasiorowski, des tentatives de robes réincarnées de Sterbak, (et la liste est infinie), cela restera toujours métonymique d’une seule chose, à savoir ce à quoi nous serons réduits : cet intérieur putrescible qui s’expose, qui explose à notre mort, cette ouverture impudique de nos chairs, cette impossible vision de notre être ; et au final cet os, face de la physionomie inconnaissable , aux orbites creuses de nos identités disparues, au rictus inextinguible. Car, reconnaissez-le, c’est bien cette horrible tête de pioche de boit-sans-soif qui excite notre curiosité, qui nous rend à notre nature de voyeurs de notre propre devenir, ultime obscénité qui nous sera à jamais dérobée.
Car la seule Vanité efficace me reste celle-là, celle qui dialogue avec le futur putride de mes entrailles, la tête en os insolente, primaire, vulgaire, ricanante, ridicule, brute de décoffrage de ma chair ; celle dont je viendrai me moquer encore et encore, vêtue de mon apparence fragile.
Et je reviendrai voir cette foire à l’asticot, aussi contestable soit-elle mais jamais aussi contestable que la Mort, en compagnie de mes amis, et nous rirons plus fort que cette tronche de cake, oui, nous rirons…
Je déclare solennellement ce dix-neuf février journée nationale du Crâne.
Paris le 18 février 2010,
Quelques liens où vous trouverez enfin des propos intelligents sur le sujet :
http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2010/02/05/trop-de-cranes/
http://florizel.canalblog.com/archives/2010/02/09/16849327.html#comments
http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites/index.php/2010/02/07/166396-vanites
http://www.evene.fr/arts/actualite/vanites-caravage-damien-hirst-cranes-c-est-la-vie-2523.php
http://lefilduregard.canalblog.com/archives/2010/02/10/16832801.html
http://theaujasmin.blogspot.com/2010/01/musee-malliol-cest-la-vie-vanites-de.html
http://vilainefifi.canalblog.com/archives/2010/02/12/16863370.html
Pardon pour les autres, mais j’ai eu la flemme de tout coller…
Par contre si vous avez encore soif d’os,
une patiente collectionneuse en a récolté quelques uns pour vous:
http://mercerieambulante.typepad.com/mercerieambulante/2010/02/gertrude.html
et ce n’est pas pour arranger la vanité de ce fichu Crâne….
Allez suivre quelques belles coutures à la
Gertrude est Fille N°5