La Mort est toujours mieux dessinée par les Autres
Je remercie mon amie Hécate de m’avoir prêté ce magnifique dessin qu’elle a réalisé étant enfant.
La nuit était tombée, sans qu’il pût savoir si c’était en lui ou dans la chambre : tout était nuit. La nuit aussi bougeait : les ténèbres s’écartaient pour faire place à d’autres, abîme sur abîme, épaisseur sombre sur épaisseur sombre. Mais ce noir différent de celui qu’on voit par les yeux frémissait de couleurs issues pour ainsi dire de ce qui était leur absence : le noir tournait au vert livide, puis au blanc pur ; le blanc pâle se transmutait en or rouge sans que cessât pourtant l’originelle noirceur, tout comme les feux des astres et l’aurore boréale tressaillent dans ce qui est quand même la nuit noire. Un instant qui lui sembla éternel, un globe écarlate palpita en lui ou en dehors de lui, saigna sur la mer. Comme le soleil d’été dans les régions polaires, la sphère éclatante parut hésiter, prête à descendre d’un degré vers le nadir, puis, d’un sursaut imperceptible, remonta vers le zénith, se résorba enfin dans un jour aveuglant qui était en même temps la nuit.
Marguerite Yourcenar, L’Oeuvre au Noir, La Fin de Zénon.
À votre bon coeur, Messieurs Dames Glissez quelques Bons Points dans le Tronc de Saint Kargul Pour obtenir le Miracle n° 999 De la Mare préférée de Gertrude
Portant la main à son crâne, avec une touchante simplicité il en souleva le couvercle et je vis, proprement vissée à la glande pinéale, la machine poétique. C’était une sphère de métal suspendue à la Cardan, creuse et remplie, à ce que je compris, de milliers de minuscules lames d’aluminium sur chacune d’elles était gravé un mot différent. La sphère tournait sur ses deux axes, puis s’immobilisait en laissant tomber un mot par une ouverture inférieure. On la fait tourner ainsi – par la puissance de ce qu’ils appellent la pensée – jusqu’à ce que l’on ait tous les éléments nécessaires à la constitution d’une phrase.
Neuf Gertrude en trois quarts d’impression virtuelle de trois quarts
JC, Remplissage n°7, mars 2009, Broderie, fils, tissu de soie, perles, paillettes, photographies sur toile, 12 x 15,5 cm.
Ces quelques perles ont été enfilées en l’honneur de mon ami Nikolas Kargul dont les images virtuelles impressionnent Gertrude depuis bientôt un an. krapo-i2.over-blog.net kargul.over-blog.com
Ô poulpe, au regard de soie! Toi, dont l’âme est inséparable de la mienne; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses; toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d’un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines, pourquoi n’es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d’aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j’adore!
Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont,Les chants de Maldoror, Chant Premier.
Philippe Soupault (1897-1990), photographié par Bérénice Abbott, 1928.
Quand j’étais élève à l’école des Beaux-Arts, Philippe Soupault vint y donner une conférence. Nous vîmes arriver un très vieil homme au profil d’aigle. Il nous parla pendant deux heures avec passion et bienveillance de son extraordinaire parcours, ces longues mains noueuses comme des ceps de vigne posées devant lui. À la fin de son intervention, prise d’une impulsion soudaine, je surmontai ma timidité et m’approchai de lui. Du haut de mes vingt ans je lui racontai que j’avais lu les Chants de Maldoror une bonne dizaine de fois, que ce texte était pour moi une vraie révélation, que j’en connaissais des passages entiers par cœur. Je saisquePhilippe Soupault m’écouta et me parla avec une grande douceur ; je me souviens surtout de la lumière de son regard et de la beauté de son sourire. Je sus à l’instant même, que je rencontrai cet être humain pour la première et la dernière fois de ma vie, que j’étais dramatiquement née trop tard.
J’ai acheté, cet été, sur Internet le premier volet des Mémoires de Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, qu’il a écrit à l’âge de trente ans ; je n’ai pris connaissance de ce texte que ce mois-ci.
« Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire. »
*La Rencontre est un phénomène rare; cependant elle reste, je crois, ce qui advient de plus important et de plus déterminant dans une vie.
Des êtres se rencontrent et une douce musique s’élève dans leurs coeurs.