Cela fait sept ans et demi
que Gertrude bavarde
Quand Gertrude se tait
le silence est d’or
Rien de tel
qu’un cou si nez
pour camoufler la réalité
À trop vouloir l’augmenter
on a la tête qui enfle
Le cou si nez de Gertrude ou Réalité augmentée,
fil, canevas, satin couleur chair, rembourrage synthétique,
17 x 19 x 5 cm
Cela fait sept ans et cinq mois
que la Crâneuse tend le cou
pour comprendre
mais ne voit pas plus loin
que le bout de son nez
Gertrude est en ligne
depuis sept ans et quatre mois
Ses contours sont de plus en plus imprécis
et sa ligne de conduite
de plus en plus improbable
L’incertitude du crâne connaît-elle des limites ?
JC, avril 2015, Réalité augmentée de Gertrude, vidéo d’animation à partir de lignes tracées à l’aide d’un stylo 3D.
Gertrude Noire tâche
Gertrude Rose essuie
Je/G suis sur Internet
depuis sept ans et quatre mois
Gertrude loin d’être essorée
continue à essuyer
les plâtres de ses facéties
Mais que compte-t-elle éponger ainsi
si ce n’est envoyer sa since
de manière anecdotique ?
JC, avril 2015, G suis en vain, collection particulière, broderie et application de toile de jute sur serpillère, dimensions indéterminées.
JC, 2015, Réalité augmentée, work in progress.
Il est possible que la chose la plus difficile à appréhender dans l’expérience « Gertrude » soit le rapport qu’elle entretient avec le réel ou plutôt avec la réalité, notion qui contient déjà en soi une part d’interprétation du réel.
Partons de la supposition que le crâne qui est devant moi, posé sur une étagère, est bien réel.
Objectivement il possède sans aucune ambiguïté une matérialité tangible : il est composé d’os, c’est à dire d’une matière organique calcifiée qui s’est développée dans un temps bien défini.
La forme finale, à présent figée voire en dégénérescence, est due à la logique de croissance d’un corps humain. Cette logique est probablement programmée par l’hérédité mais infléchie par quelques acquis ou accidents de parcours.
Le tissu osseux, avec une analyse scientifique poussée, pourrait sans aucun doute nous révéler beaucoup sur le parcours biologique du corps ; nous savons également que cette analyse pourrait dévoiler l’identité de la personne.
En connaitrions pour autant l’être ?
Le seul indice dépassant le champ de la science, et qui pourrait ouvrir à notre interprétation subjective, serait justement la démarche d’avoir livré un jour son corps à la même science.
D’une certaine façon, en m’appropriant ce crâne pour en faire « Gertrude », j’ai décidé que sa réalité n’était qu’une supposition.
Car même si ce crâne est réel sur l’étagère, je n’en exploite plus que l’image.
L’objet crâne ou plutôt la chose crâne reste vide à jamais, vide de substance et de sens. La sensation tactile ou visuelle de sa matérialité ne lui donne pas plus d’existence que le « peu » qui me regarde, elle aurait même tendance à l’accentuer.
L’image, par contre, distanciée du réel par son essence de re-présentation, est beaucoup plus riche en « réalités », beaucoup plus plastique aux interprétations.
Je ne touche presque plus au crâne, j’ai pris mes distances avec la pratique de confrontation directe qui fut la mienne dans le dessin, la peinture ou la photographie ; une étape que je reconnais nécessaire à sa « dématérialisation » .
Je passe à présent à côté sans le voir ; de « voir » je suis passé à « savoir », et cela me suffit de le savoir là. Peut-être un jour y reviendrais-je… dans longtemps ou dans peu, car je ne crois ni au linéaire ni au retour du même.
Toujours est-il que « Gertrude » se réduit maintenant à une petite série de photographies : face, profils gauche et droit, arrière et dessous, quelques vues de trois-quarts… Clichés sur lesquels plus j’avance et plus je rajoute de couches de mise en scène et de fard virtuel. Et plus je donne de l’épaisseur à ces images, moins je vois ce qui me regarde du coin de l’œil au fond du vide de Gertrude.
« Gertrude » ne serait-elle pas une « réalité augmentée » du crâne ?
La « Réalité augmentée », terme appartenant à la science informatique, désigne (de manière raccourcie et filtrée à la moulinette de mon interprétation) le fait d’appliquer une couche de virtuel sur le réel, et ce, en temps réel.
Pour mieux le comprendre ou au contraire le fuir ?…
Cette question m’inquiète et me ravit à la fois !
L’image « Gertrude » témoigne virtuellement de la réalité de l’os, lui-même témoin très éloigné de la réalité de la personne morte dont il est le reste.
L’image n’est que passage vers une autre réalité, celle de la matérialité de ma pratique : résidu filtré d’un lointain réel ou réalité augmentée avec les restes ?
Juliette Charpentier, 9 avril 2015
Photographie numérique de Gertrude (3/4 dos) modifiée par un logiciel informatique de traitement de l’image.
Pour finir à défaut d’expirer
Gertrude sort de sa bulle
pour prendre son inspiration
chez celle*
qui fait jaillir les couleurs du vain
par tous les temps
Mais au fond
on voit toujours
un gentil petit village
JC, mars 2015, Le jardin Pulmon’air de Gertrude n°10 ou Le jardin Pulmon’air gentil.
Une des 12 ventouses pulmonaires achetées à la Communauté Emmaüs, mousse polyéthylène,acrilyque sur toile, crayon de couleur sur papier calque, impressions photo numérique, tissue imprimé.
Hauteur : 7,5cm, diamètre : 6,5cm.
Cela fait sept ans et trois mois que Gertrude est tenue en haleine
Suivez le courant d’air par
* Toute ressemblance avec une interlocutrice de Gertrude est fondée