Gertrude Kraanex

 

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  Dans cette mise en scène:
Objet offert par un interlocuteur,
boite de mouchoirs jetables détournée,
jus de bitume sur mouchoirs en papier.

 

 

Je pleure.

 

Je pleure sur l’enfermé, l’embrigadé, l’aliéné.

Je pleure sur celui qui ne s’appartient plus, celui qui a verrouillé ses oreilles et laissé fuir son esprit, celui qui se croit maître et qui n’est que suiveur.

 

Je pleure.

 

Je pleure sur celui qui construit sa prison avec ses crocs pour libérer les autres du mal, celui qui se pense intègre en étant intégriste.

 

Je pleure.

 

Je pleure sur le redresseur de tort, le détenteur de vérité.

Je pleure sur celui dont le droit chemin rime avec tordu, celui qui construit des certitudes sur des thèses vacillantes.

 

Je pleure.

 

Je pleure sur le cadenassé, le frustré, l’impuissant.

Je pleure sur celui qui a jeté la clé de ses irrésolutions, celui qui cache son désespoir sous le militantisme, celui qui fustige son plaisir dans des ascèses intenables, celui qui veut tout contrôler mais qui est prêt à tout lâcher.

 

Je pleure.

 

Je pleure sur le bien pensant, le puritain, le vigilant des bonnes mœurs.

Je pleure sur celui dont les bonnes intentions sont des peaux de bananes, celui qui surveille son prochain, celui qui se berce d’idéalisme en exerçant la dictature.

 

Je pleure.

 

Je pleure sur l’aveuglé, le sourd, le faible.

Je pleure sur celui qui se croit lucide et qui a le fond de l’œil illuminé, celui qui n’entend plus le chant de l’amitié, celui qui est trop lâche pour affronter les contradictions.

 

Je pleure.

 

 

Je pleure sur toi.

 

Toi dont l’œil clair était empli de passion et de promesses, toi le revenant qui dévorait l’existence, toi qui chantait l’humanité de ta voix d’or, toi si fort et si fragile à qui rien ni personne ne pouvait résister.

 

Toi qui a immolé ton intelligence au pied des convictions qui séparent, toi qui a mis ta plume vibrante et acérée au service de polémiques radicales.

 

Toi dont la bonne foi a livré le sens critique en pâture aux idéologies sectaires, dont la naïveté a entraîné la raison dans une course effrénée, pourfendant l’imperfection humaine sous prétexte d’humanisme.

 

Toi qui a choisi d’écarter de ton chemin ceux que tu ne pouvais entraîner, ceux dont, tôt ou tard, il t’aurait fallu affronter les contradictions, les faiblesses, les imperfections, ceux dont la liberté, l’irréductible inconnaissable risquait de t’échapper, de te glisser entre les doigts, ceux qui avaient le pouvoir de te faire douter, ceux dont l’opposition inévitable tendait à toucher quelques points douloureux.

 

Je te pleure.

 

 

Et je pleure de joie d’avoir été ainsi jetée, balancée, larguée, lâchée, de rouler ma bosse et mon crâne vide dans le caniveau de mes imperfections, de poursuivre les dérives de mon incertitude, de clamer mon inutilité morveuse.

 

Je suis libre et ne marcherai jamais à tes côtés.

Je continuerai mon chemin à la rencontre de la nature improbable de l’Autre.

 

Gertrude


 

Je dédie cet article à mon amie Hécate, si libre, si rebelle,

qui saura apprécier chaque mot de cette complainte. 

 

Os de nacre

 

En ce joli mois de mai 

l’Os se fait doux comme la

nacre

et léger comme un pétale de

printemps

 

Cela fait

quatre ans et quatre mois

que Gertrude

se croit éphémère mais reste

vivace

 

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Mon quatrième est pour *

 

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JC, Pique-Gertrude N°4, (collection particulière)  
canevas, fil, satin, rembourrage synthétique,
3 x 9 x 9 cm

 

* Celle

qui bien cachée à l’ombre des Marguerites

observe le ressac

du vague à l’âme au fond des crânes

écoute le bruit de l’Os séant

dans les coquillages

en croquant des radis

 

Mais peu importe la fane si le fond y est

peu importe l’os si le mystère reste entier

 

La Rose

parcourt toujours les mêmes récifs

et la Noire

s’envole

Vol de Marguerite dans une nuit d’Os

 

 

 

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Il y a près de la mer des oiseaux que je ne connais pas. Ils passent très haut dans le ciel. Parfois ils descendent sur les rochers. Ils sont blancs comme le sel. On les aperçoit aussi qui se reposent sur leur ventre à la crête des vagues. Jamais on ne les voit de près. Ce sont des oiseaux de mer. Leurs cris sont plaintifs et lisses. La nuit, quand je ne dors pas, je crois les entendre, mais c’est le vent que j’entends.

 

Marguerite Duras, La vie tranquille.