Devant
les menaces d’abordage
de son Tri marrant
par les Internautes,
Le Capitaine J
s’apprête à mener
une grande bataille navale.
Préparez vos armes!!!
(À suivre…)
Je ne veux pas vieillir, L’avenir me désole, Comme on doit s’ennuyer Lorsque l’on a 15 ans! Moi je cours tout le jour, Je joue à pigeon vole, Et maman prend plaisir, À mes jeux innocents… Chanson que me chantait ma grand-mère.
Sans doute suis-je encore à l’âge où l’âge a le luxe de l’attitude, où j’ai une sorte de pouvoir décisionnel sur le temps, où la vieillesse (ou la jeunesse) est un état décrété.
Mais quelque chose me raconte dans la fatigue de certains réveils, que le jour viendra où l’âge m’imposera sa loi, me fera plier sous le joug rouillé des rhumatismes et de l’apathie, asservira mon corps et mon esprit à quelque maladie sournoise.
Ce jour, ce qui me restera de vie n’aura de raison que son état de reliquat. Je ne vivrai que pour survivre et voler quelques instants à la Faucheuse, au moins avoir un semblant d’illusion sur ces derniers matins où il me sera donné d’ouvrir de nouveau les yeux sans interroger le lendemain.
Pour l’instant je conjugue encore mon temps au futur ; ce dernier grouille de toute une foule de choses à accomplir. De la vieillesse qui tente de se glisser insidieusement dans l’interstice entre ces choses, qui coule son plomb doucement dans mon énergie, je ris encore, d’un « encore » que je voudrait « toujours » ; je joue à la séduire dans un dialogue presque amoureux, comme si l’apprivoiser la rendrait belle; je l’aguiche, la provoque, la caresse, tentant de lui trouver quelque valeur intrinsèque.
Mais la Vieille tapie dans le coin du miroir, et qui croit que je ne la vois pas, a du mal à se faire aimer. J’essaie pourtant de la surprendre ; elle est cachée dans l’angle mort, elle joue la timide à la limite de mon champ de vision ; elle ne se montre que le temps d’un éclair, à l’instant fugace où mon regard se détourne, où mon attention se relâche de l’observation de mon visage, en même temps que je relâche mes traits remontés inconsciemment devant mon image reflétée dans un controle presque imperceptible et involontaire de mon expression.
Paradoxalement, je me regarde davantage dans le miroir que dans un temps où j’étais plus jeune, quand, dans cette fleur de l’âge, comme on le dit si joliment, je devais avoir une certaine sérénité sur mon aspect physique. À présent, la confrontation avec ce double, qui joue plus la duplicité que l’honnêteté, me semble impérieuse et d’autant plus fascinante qu’elle en est inquiétante ; car dans le miroir, la Vieille me révèle peu à peu la fracture, la béance qui va s’installer en moi à jamais, cette porte de sortie qu’il me faudra franchir.
Je l’épie à distance, mais je sais qu’au moment précis où je baisserai ma garde, elle prendra mon apparence et apposera son masque affaissé sur mon visage ; mieux, je la soupçonne d’être déjà installée à mon insu, sous ma peau, alourdissant mes paupières, ridant le coin de mes yeux, tirant vers le bas les commissures de mes lèvres, profitant de quelques moments d’absence de ma part pour donner à ma personne cet aspect las qui ne raconte plus rien, ni qui ne se laisse plus rien raconter.
Et un jour viendra, et n’est pas encore venu, où ma vue se confondra avec ma vision, où la Vieille (qui attend son heure) aura l’audace d’emporter mon apparence dans sa réalité, et ce jour-là, ce sera bien plus que mon apparence qui basculera dans la décrépitude : mon être entier descendra la pente.
À présent, elle n’est qu’une hypocrite virtuelle (comme je peux l’être sur la Toile avec toute la séduction que j’y déploie, bien cachée derrière mon clavier ; et sur cela, j’aurai l’occasion de revenir). Hypocrite virtuelle, car elle me laisse toute latitude à la tromperie, tromperie envers moi-même et illusion de la tromperie envers les autres.
Car la conscience de ce jeu de cache-cache avec ce « Moi-la-Vieille » me rend en quelque sorte invincible : je vois clair dans son jeu, je prévois ses coups à l’avance. Surtout qu’elle n’est, pour l’instant, que carcasse, et moi libre arbitre.
Sur mon corps physique, je lui laisse quelques victoires dont elle ne se lasse pas de se repaitre et moi de me moquer.
Ainsi, il était un temps où j’arrachais soigneusement et avec une certaine satisfaction chaque cheveu blanc qui osait briller dans ma tignasse noire ; puis, devant une certaine recrudescence du phénomène, j’arrivai à en accepter quelques uns ; j’en tirais même une certaine coquetterie. Mais la grisaille gagna du terrain et s’essayait vicieusement à repeindre mes états d’âme ; alors je la combattis à la teinture.
Mais depuis peu, j’ai décidé de n’en rien faire, si ce n’est de la regarder évoluer, comme si l’afficher au grand jour lui interdisait toute la perversité et le pathétique de l’artifice, et prenait en faux le stéréotype de la tête grise comme figuration de la vieillesse. Aussi, je prends le parti de chouchouter ce « poivre-et-sel », de le faire briller, de le tailler comme une plante rare et exotique, d’oindre cette cendre, cette couleur qui n’en est plus une, pour en faire ressortir le luisant et les nuances argentées.
Enfin, il me plait de retourner la politesse à la Vieille en lui donnant une leçon de coquetterie, et je suis fière d’arborer les effets de ses coups bas comme les trophées d’une expérience plus que les atteintes à mon intégrité, de les considérer comme des atouts plus que d’en accommoder les restes.
Je la soigne, la Vieille ; non comme une maladie mais comme une invitée ; je ruse à lui faire croire que je l’accueille plus que je ne la subis, à lui faire oublier ses petites grivèleries mesquines sur ma chair.
Je dorlote cette usurpatrice comme un vase précieux, fragilité que j’ai prise à mon compte, qui est celle d’un équilibre de funambule ; fragilité qui est celle de l’exploit et non celle de la faiblesse.
La Vieille m’occupe bien plus que la jeune qui persiste à rester malgré la vétusté du lieu. Cette dernière a toujours vécu de tout et de rien, se moquant du paraître et du lendemain ; pourtant, c’est bien elle que je vois encore dans l’éclat des vitrines, souriant à l’allure de son pas pressé, et qui court, court devant, légère et insouciante, sans que ni le temps ni personne ne puisse la rattraper.
C’est elle qui chaque soir s’endort dans les bras de son compagnon, dans l’assurance totale de retrouver son image intacte, immuable depuis tant d’années, dans les yeux aimés et aimant ; c’est elle qui chasse la Vieille pessimiste de sa couche, repoussant la présence visqueuse de celle qui, à la faveur de l’obscurité, se vautre dans la crainte des pertes irrémédiables et de la froide et sale solitude des antichambres de la mort.
Et pourtant, malgré toute l’énergie que je sens couler dans mes veines, il m’arrive de me laisser gagner par cette pourriture, vieillesse laide et peu appétissante qui, irrémédiablement, construit des murs d’indifférence et fait détourner le regard des gens plus jeunes. Au fond de moi, crient ma propre jeunesse et le sentiment d’injustice d’être emmurée vivante dans ce corps décadent ; corps dont je suis la seule à détenir le secret de la rupture entre un moi réel et celui que je livre aux autres, par défaut ou par lassitude, bien obligée d’être cette femme qui ne peut avoir d’autre âge que celui qu’on lui donne.
Mais le pire des sentiments est bien la certitude que ce ressenti, ce sursaut de jouvence, n’est qu’une illusion, celle laissée en creux par la jeunesse qui s’enfuit, laissant, accrochés à ma nostalgie, quelques lambeaux de ses hardes magnifiques.
Et la Vieille ricane, triomphante. Elle ricane de m’avoir définitivement assise au banc des refusés ; et, piètre consolation, elle ricane aussi au nez de la jeunesse arrogante, jetant son cynisme à la face de ceux, qui forts de leurs trente ans, croient dominer le monde qu’elle a possédé avant eux ; monde qu’elle livre pour avoir le plaisir de le reprendre.
Et moi, je ris, et rirai encore et toujours ; je rirai jusqu’à la fin, jusqu’à en perdre l’entendement, jusqu’à en mourir; car je pense aux merveilleux vieillards qui m’ont précédée, mes grands-parents maternels et paternels, mon arrière grand-mère, et d’autres ascendants, tous arrivés à de très grands âges, à ces âges qui les ont fait rentrer dans un espace qui tient plus de la légende que du souvenir au sein de ma mémoire. Et je ris de plaisir en revoyant la flamme qui dansait dans leurs yeux, celle qui m’était destinée et que je comprendrais plus tard, c’est-à-dire maintenant.
Car les avoir connus, côtoyés, aimés, admirés a fait de moi exactement ce que je suis et dont je suis fière. Les voir partir, presque sans bruit, fut pour moi naturel, comme si, de cet état vieux où je les avais toujours connus, ils étaient passés doucement dans mon être intérieur. Et je ris encore de leur vieillesse si belle, qui reste pour moi le modèle de l’accomplissement. Une vieillesse désincarnée et parfaite comme un idéal.
Mais cette vieillesse est une qualité pas un devenir ; car, là, « vieillesse » n’est pas « vieillir », la vieillesse des aïeuls semblant oublier et effacer toute la violence du « vieillir » : Si la vieillesse, pour moi, reste l’apanage de mes grands-parents, image à jamais de leur sérénité bienveillante et chaleureuse, le verbe vieillir ouvre, quant à lui, un gouffre noir et froid dans lequel il me faudra basculer ou avancer pas à pas comme un ultime défi du destin.
Au seuil de cette sombre demeure, je ne peux que penser à mon père, éternel jeune homme, courant les bois dès cinq heures du matin, infatigable joueur de tennis. Il détestait l’idée de vieillir et glosait sur la fin rapide qui l’emporterait sans déchéance, défiant la mort de ses plaisanteries.
La Faucheuse est venu le cueillir comme une fleur au printemps.
Il n’a jamais vieilli.
Gertrude
Gertrude:
Trois ans et dix mois de web et pas une ride.
Aujourd’hui, c’est la fête des vieux!
N’oubliez pas
Gertrude Rose
la Vieille coquette
et
Gertrude Noire
la Vieille indigne
À tous les Saints au fil de l’os de Venise,
Gertrude se repent.
Elle se repend au fil noir de son plafond,
dépend toujours du fil emmêlé de son blues,
se méprend, surfile,
se surprend à coudre sa mémoire
de fils blancs.
Gertrude reprend donc le fil de sa toile.
Mais le Fil rouge va où il veut
Une Mercière le souffle
Sur les petites coupures de Gertrude
Ambuleuse tisseuse
Pensant les accrocs de l’Os
Pansé aux doux points de Venise
Gertrude est déjà morte.
Qu’en est-il de moi?
D’étagère en états, j’erre.
Gertrude et moi avons les mêmes desseins
D’un jardin intérieur aux miroirs confinés
… In fine.
* Article évolutif
C’est là, niché au fond de ma tête, presque oublié, mais toujours présent, prêt à surgir à chaque faille de mon quotidien.
C’est un creux dans l’encombrement de mes pensées, un trou d’air, un vide rempli d’atmosphère.
Bien plus qu’une idée, c’est un sentiment : vague à l’âme, ressac qui bat, butant contre la cage étroite de mon crâne et de mes tripes .
C’est poignant et beau comme la sourde mélancolie d’un ange gravé par Dürer dont l’aile repliée raconte l’impuissance de l’envol, et dont seul l’œil fou, point aveugle et blanc au centre de l’image, échappe à tout dessein.
Car je soigne en moi, telle une douce aile malade et douloureuse, un désir : Partir.
Il est d’autant plus puissant que je ne passerai jamais à l’acte ; ultime pouvoir dont je me crois dotée et que je me complais à croire plus fort que la mort, celui de laisser derrière moi, le jour venu, ce trop plein qui me ronge le temps et l’entendement.
J’ignore, de ce désir ou de la certitude de son inassouvissement, quel est le plus rassurant ou le plus inquiétant. C’est là, en moi, comme une fenêtre ouverte, et c’est ce qui m’importe.
Je ne sais plus quel imbécile, tant pis si c’est un grand poète, a dit que « partir était mourir un peu ». Je pense, au contraire, que partir est vivre, se sauver, se garder vivant. Il est d’ailleurs étrange que l’expression « se sauver » vaille aussi bien pour « fuir » que pour « vivre ».
Rester dans la mélasse des journées qui s’écoulent, dans la scansion absurde d’évènements et de gestes renouvelés jusqu’à leur parfaite inconscience, laisser l’érosion de l’habitude m’aveugler et m’asphyxier, est la plus sure façon de mourir.
Et des fers du quotidien, l’attachement le plus terrible reste bien l’amour que je porte aux miens : vivre à leur côté est aussi indispensable que leur passer à côté devient inévitable ; et seuls la perte et l’absence peuvent restituer toute la dimension de cette dépendance à l’autre qui est devenu soi.
Pourtant, partir avant qu’il ne soit trop tard, que l’âge m’aliène à la décrépitude de ma carcasse et me condamne à une passivité immobile, est bien plus qu’une idée .
En effet, ce ne peut être qu’un sentiment, avec toute l’exaltation qu’il comporte, et les possibles extases qu’il promet.
Il est un amour impossible, je sais que cela n’arrivera jamais ; mais cela me fait rêver, de ces rêves plus forts que la réalité.
Il ne s’agit pas de fuir, mais de m’affranchir de la pesanteur des amarres qui peu à peu m’entrainent au fond de ma torpeur, et m’enlève toute passion.
Et partir, là, ne vise aucune destination réelle ou connue, mais un lieu qui tiendrait plus de l’utopie, topos qui est un ailleurs qui n’existe nulle part pour exister partout, qui fait image dans ma tête, petite cabane au milieu de l’océan des vagues ou des montagnes, dont la qualité première serait ma solitude.
Cependant, cette case vide des autres, que je ménage dans l’œil du cyclone, que j’isole du bruit du monde, a, parfois, quelque velléité de se réincarner dans ma cervelle.
Car une odeur y flotte.
Bien réelle, elle en habite l’espace à la manière d’un parfum, et, telle une sirène au chant puissant, fait couler ma mélancolie dans l’amer de la nostalgie.
Odeur qui remonte, et brutalement claque dans ma mémoire : Odeur du bois blanc des caisses des déménagements de mon enfance.
Partir est, en effet, une maladie que j’ai attrapée à l’âge de trois ans, un âge où il est pourtant détestable de partir. Et telle une fièvre tropicale, je sais qu’elle brulera dans mes veines jusqu’à la fin.
J’ai une pensée émue pour mes parents, si jeunes partis, avec deux enfants petits. Deux instituteurs, pleins d’idéaux dans la tête, et quelques objets soigneusement pliés dans une cantine métallique verte, le nom de mon père sur le couvercle, tracé au pinceau de façon appliquée par ma mère.
D’année en année, de mutation en mutation, d’un poste outre-mer à un autre, le bagage grandit en même temps que nous. De la cantine, nous passâmes vite à deux, puis trois, et très vite, mes parents firent fabriquer des caisses en bois qui nous suivirent ensuite durant tous nos périples, et ce, jusqu’à leur retour définitif en France, bien après le mien, à l’âge de dix-huit ans.
Ces caisses doivent encore trainer quelque part dans un débarras, si elles ne sont passées au feu de quelque nettoyage de printemps. Mais elles font partie de la légende familiale, rythmant de leurs épisodes de remplissage nos séjours en différents points du globe ; et quand elles ne servaient pas de containers à nos bagages, elles se pliaient à l’ingéniosité de ma mère qui les transformait en banquettes ou en étagères dans des logements de fonctions dénués de confort et bien souvent meublés du strict minimum ; ma mère, à l’occasion, glosait sur ses collègues qui faisaient venir à grands frais des meubles « de style » de la métropole, et tirait beaucoup de fierté à déclarer que nous étions, nous, logés en « Louis Caisse ».
Ainsi ces caisses accompagnaient notre vie quotidienne en préservant une certaine atmosphère provisoire dans la maison : un « partir » accroché à ces bouts de bois qui ne se faisait jamais oublier des « oiseaux sur la branche », autre expression maternelle, que nous étions.
Mais « faire les caisses » restait le moment crucial, excitant et redoutable à la fois : de grandes disputes parentales éclataient autour du meilleur agencement des objets dans les caisses, ma mère prétendant tout organiser en maitresse femme, mon père, pessimiste, prédisant la catastrophe de devoir abandonner derrière nous une partie de nos affaires par manque de place.
Je tremblais que ce sacrifice tombât sur mes quelques jouets, moi qui vivais déjà ces préparatifs de départ comme la séparation douloureuse des petites choses construites lors de toujours trop courts séjours et la privation momentanée mais bien trop longue de mes menus biens.
Je savais que les caisses séjourneraient de longues semaines en mer dans les cales d’un cargo dont elles garderaient à l’arrivée cette odeur caractéristique d’huile et d’embruns mêlés. J’imaginais mes poupées compressées entre les casseroles et les lampes à pétroles, affrontant les dangers des tempêtes, ballotées dans ces contenants de bois à l’apparence pourtant solide, mais qui, livrées aux éléments pouvaient se disloquer comme des fétus de paille.
Cette traversée aussi circonstancielle que temporelle de nos objets, qui faisait parallèle à chaque fois à notre départ pour une situation nouvelle, prenait dans mon esprit une dimension quasi surnaturelle dont l’évocation a toujours le pouvoir de me serrer le cœur ; mais rien n’égalait en émotion le moment tant attendu de l’arrivée des caisses : outre quelques mauvaises surprises pour mes parents d’objets cassés ou ayant pris l’eau, c’étaient pour moi une redécouverte émue de choses qui, dans ce périple échappant à ma vigilance, avaient acquis un supplément de mystère.
Je confiais ainsi à l’inconnu un objet auquel je tenais beaucoup, un petit voilier que j’avais eu pour mes huit ans, véritable modèle réduit de trois-mâts, doté d’un gréement complet, qui naviguait tout comme un grand. C’était probablement le jouet le plus sophistiqué et le plus précieux de ma collection, jouet dont mon père, ancien marin, s’amusait autant que moi ; je le soupçonne d’ailleurs d’avoir eu quelque influence sur mes choix.
Le petit bateau devenait, dès lors qu’il se trouvait posé sur l’eau, un vrai navire de forbans : il affrontait courageusement les intempéries, sa coque craquait dans les creux gigantesques des déferlantes indomptables, ses voiles se gonflaient, ses cordages grinçaient dans d’épouvantables ouragans, le bateau chavirait, l’équipage se noyait régulièrement non sans avoir au préalable combattu jusqu’à la mort des monstres effroyables et des requins sanguinaires ; parfois, il avait la chance de croiser un banc de dauphins qui venaient à son secours.
Quelque fut l’issu du drame, tout pouvait recommencer le lendemain.
Ces aventures rocambolesques étaient à l’aune de mon imagination enfantine et ne dépassaient pas en réalité la zone de petits clapots qu’il m’était permis de franchir dans l’océan ; au-delà commençait le lieu des véritables dangers, hauts fonds et gouffres sous-marins peuplés d’innombrables bêtes féroces et de gigantesques murènes capables en quelques secondes de happer l’innocent baigneur pour l’entrainer dans des antres sombres.
L’idée de ce monde que seuls Nemo et Achab étaient à même de fréquenter me faisait frémir de terreur, le soir, sous mon abri de moustiquaire, idée que j’entretenais à la lecture des Merveilles de la Nature, ouvrage abondamment illustré dont l’image la plus effroyable était une toute petite vignette en noir et blanc représentant un tsunami au Japon : on y voyait des êtres humains à peine plus grands que des fourmis fuyant devant une vague noire haute comme une montagne. L’image m’obsédait au point que je m’éveillais au milieu de la nuit, croyant entendre l’océan avancer dans le jardin dont le fond donnait sur la plage, et que j’éprouvais le besoin impérieux de contempler à nouveau ces trois centimètres carrés de chaos à la lueur de ma lampe de poche.
Si longtemps après, alors que j’habite si loin de la mer, je revois encore cette image avec autant de netteté ; elle surgit dans ma mémoire aussitôt que j’évoque de près ou de loin l’idée de l’océan.
Probablement n’ai-je même pas besoin de l’évoquer, car l’océan, depuis mon enfance, ne m’a jamais quitté, et il reste l’objet central de mon désir, d’autant plus grand que je m’en trouve éloignée ; enfant, je courrais à sa rencontre dès que mes parents avaient le dos tourné, je ne m’en lassais jamais. L’océan est au cœur de ce « partir » qui m’habite, il en est l’indicible, irrésistible et terrifiant à la fois, espace incommensurable qui emporte mon petit bateau d’enfant pour une destination désorientée, sans retour.
Sur cet océan intérieur, un jour de mars, il y a douze ans, j’ai vu partir mon père, le marin, dans une caisse en bois. Sa traversée ne finira jamais.
Gertrude
Cela fait trois ans et neuf mois que Gertrude navigue vers un lieu qui n’existe pas.
Pré en bulle sur la Rose.
Nostalgie embuée sur la Noire
Au passé simple vous fûtes, à l’imparfait j’étais.
De ce temps si simplement délimité,
permettez-moi d’en conjuguer l’imperfection.
Car il fut trop simple d’en fuir l’imparfait
pour un présent plus que parfait.
Certes, à l’imparfait nul n’est tenu,
mais je serai ce que j’étais,
et ce ne fut ni sera jamais simple.
Le simple passé passe le passé pour se passer de l’avenir,
l’imparfait du temps passe de veille en avant-veille
pour trépasser jusqu’à demain.
Demain vous fûtes comme vous êtes,
hier vous étiez comme vous serez.
J’étais
Tu étais
Il (elle) était
Nous étions
Vous étiez
Ils (elles) étaient
Nous serons…
s’il vous
PLAIE
Gertrude rencontre ses interlocuteurs…
Serait-elle le Vain dans le fruit?
Seul l’avenir nous le dira,
la pomme est encore verte.
Gertrude a l’éternité pour la croquer.
Cet article est bien sûr dédié à V.
et au *verger qu’il cultive si joliment.