Carte postale

PAYSAGE 1

 

gertrude-2163.jpg

JC, 25 Juillet 2011

 

 

Le trois aout deux mille onze,

 

                                    Chers amis,

 

  j’espère que vous allez bien.

Je trace la route et mon cœur bat la campagne.

Je pense à vous si loin au seuil de mon horizon.

Gertrude là-bas, objet posé sur une étagère, raison de mes petites entreprises, fait signe, et je dessine dans les nuages le fil futur de nos conversations.

Gertrude rêve, et je rêve en sépia sur le mur aveugle de ma mélancolie.

Vous me manquez.

Je vous salue avec affection.

 

  Juliette

 

Gertrude est-elle là?

La question se pose depuis trois ans et sept mois.

 

Auto-Oscopie N°3: Attendre…

 

 

photos-gertrude2-2129.JPG

 

Attendre… 

 

La première idée qui me vient à l’esprit – est-elle saugrenue, ou au contraire d’une implacable logique, et je sais que cela ne vous surprendra pas – est de compléter l’expression par « la mort » : Attendre la mort.

Cependant rien ne me paraît plus absurde : La mort se laisserait-elle attendre ? La mort survient.

 L’attendre reviendrait à ne plus rien avoir à attendre… Mais peut-être, là, faudrait-il compléter par « de la vie ». Mais, au final, attendre quoi que ce soit de ou dans la vie aboutirait de toute façon à avoir la mort, même si ce n’est pas elle que l’on attend. Et si je pousse plus loin ce raisonnement idiot, attendre la mort (j’entends par là sciemment), qui serait ne rien attendre de la vie, et donc s’ôter tout espoir, voire toute illusion  – dans l’hypothèse que ce soit possible car je dis peut-être cela parce que je suis à un âge, ou dans une disposition d’esprit, où je me projette encore sur un chemin certes illusoire mais à venir – reviendrait à avoir la capacité de voir la mort, comme les choses de la vie, c’est à dire comme une réalité, comme un événement normal, identifié, reconnaissable, donc envisageable de notre parcours. Donc pour l’attendre il faudrait avoir la possibilité de l’espérer.  Pourtant espérer la mort serait, communément parlant, avoir perdu tout espoir.

 

Me voici coincée comme une mouche dans un pot de miel.

Ou plutôt cette idée est une mouche (la mouche collante de la mort toujours prête à jouer par défaut les corrélats ) tournoyant sans fin autour de mon propos ; il me faut la chasser au plus vite avant de finir écrasée, sous le poids de son corps mort, par la force centrifuge, sur une paroi que je n’aurais pas vue venir, ou noyée dans le miel illusoire et lénifiant de l’espoir.

Et je sais que derrière la vitre, si vous avez eu la patience de lire ces lignes jusqu’ici, vous attendez. Quoi ? Je n’en sais rien et je m’en moque ; comme je me moque de votre patience ou de votre impatience.

 

Car, ici, je vais employer le verbe « attendre » sans complément, sans complaisance, sans compromis. Rajouter quoi que ce soit à « attendre » serait en définir l’espace, en limiter le champ, lui donner une finitude, une « définitude ». Et même « attendre rien » serait déjà trop.

 

Attendre a toujours été mon activité principale. Je la revendique, toute nue, juste comme une ouverture dans l’espace-temps, un arrêt sur image dans le déroulement qui nous emporte. Cette attente se passe des certitudes de l’événement, c’est une attitude propice à l’apparition – certains diront au miracle – une ouverture d’espace impossible. Concrètement, j’aime attendre, provoquer cet état étiré, rentrer en stase.

Ainsi quand j’avais entre cinq et dix ans, je suivais mon père dans tous ses menus déplacements : acheter du pain, aller au garage, mettre de l’essence dans le réservoir, poster une lettre.

Je me faisais oublier, j’étais son ombre. Assise sur le banquette arrière de la 403, et malgré le déplacement de la voiture, je voyageais immobile. J’aimais l’odeur de latérite et de mer qui se dégageait des vieux sièges. Je ne bougeais pas, mais ce n’était pas de la sagesse ; alors que mon père conduisait, parlait sûrement plus pour lui-même que pour moi, garait la voiture, sortait de la voiture, rentrait et démarrait à nouveau, j’attendais assise à la même place sans aucune forme d’agitation apparente, j’étais juste là et nulle part à la fois ; j’étais une chose, je me chosifiais volontairement pour vivre; car, si en apparence j’étais immobile, ma vie intérieure, elle, était intense.

Invisible derrière ma propre transparence redoublée par celle de la vitre de la portière, j’observais avec passion l’extérieur : gens et bêtes, arbres, objets, maisons, tout y passait et tout passait devant mes yeux ; c’était un film incroyable que je pouvait actionner comme je voulais ; j’étais réalisatrice et spectatrice de cette mouvance. J’étais en même temps à l’intérieur de moi-même et complètement projetée en dehors. Mon corps pétrifié permettait l’envol de mon esprit : ce dernier était totalement désengagé de la réalité, comme ravi à ses obligations ; il était en vacances et n’était tenu à rien d’autre que celui de contempler l’écoulement du temps des autres et se contempler hors de ce temps. Et tous ceux qui bougeaient dehors, hommes et bêtes, n’avaient aucune idée de l’observation dont ils faisaient l’objet ; me voyaient-ils seulement ? Sûrement non, car je ne faisais plus partie de leur espace, je n’étais pas dans la sphère de leurs préoccupations ; je n’étais en aucun cas un élément du déroulement de leur vie. J’étais juste une petite fille assise dans une voiture qui attendait que son père revienne ; dormait-elle ? S’ennuyait-elle ? Peu leur importait ; et c’est ce qui m’importait.

La moindre intervention, qu’elle soit de ma part dans leurs sphères, ou de la leur dans ma sphère, aurait provoqué l’éclatement de la bulle. Mais je savais que dans ce temps figé qui tenait moins du temps que de l’intervalle, vide ou vacance où j’attendais le retour de mon père, tout pouvait arriver derrière la vitre, mais rien ne pourrait m’arriver : Tant que je restais invisible, l’extérieur ne pourrait m’atteindre. J’étais immortelle, alors que tout mourait doucement autour de moi, que chacun courait vers son destin.

 

Attendre est une ligne tendue d’un instant x à un instant y : il y a un début et une fin ; attendre part de l’annonce d’un objet et finit par la survenue de ce dernier, mais ne constitue pas en soi un élément chronologique dans le déroulement des évènements ; attendre est une sorte de césure dans l’action, un entre-temps où rien n’est censé arriver de notable.

Dans l’adtendere latin, il y a le verbe « tendre » bien sûr, mais on entend aussi « tendre l’esprit », « tendre l’oreille », « prêter attention », comme la toile tendue et rendue propice à l’attention. L’attente peut-être quelque chose de délicieux comme celle d’un événement que l’on sait d’avance heureux, où chaque minute attendue est un préliminaire à la joie que l’on va ressentir, mais elle peut être insupportable face à l’incertitude et par le temps qui file et dont on voit la perdition irrémédiable. Quelle que soit l’attente, le jeu en reste en suspend  et, communément, l’attente n’aurait d’autre intérêt que sa raison, et ne saurait trop durer.

Mais l’attente peut être aussi prétexte à elle-même, à ouvrir cette suspension. Depuis mon enfance, alors que j’étais assise sur le banquette arrière de la vieille Peugeot de mon père, j’ai gardé la capacité à rester suspendue, à rentrer dans une neutralité invisible, à me laisser absorber entièrement par ce qui m’environne ; j’affectionne particulièrement les salles d’attentes, lieux de regroupements improbables d’individus qui , malgré l’entassement auquel parfois ils sont soumis et quelques ténues communications, restent seuls dans leurs préoccupations, pré-occupations qui seront mais sont déjà : ils seront « reçus » bientôt dans le cabinet du médecin, ou dans le bureau de quelque autorité institutionnelle, pourront exposer un peu de leur personne ; mais pour l’instant, des pieds qui frottent le sol jusqu’aux regards qui circulent , en passant par les gorges qui raclent, les pages de magazines qui bruissent entre les doigts et les tripotages de téléphones mobiles, les corps chuchotent de menues histoires et le spectacle est permanent. Je peux en oublier presque l’objet de ma propre attente au point d’avoir, le moment venu, quelque regret à quitter ma chaise. Les occasions d’attendre, improbables et variées, ne manquent pas (à tel point que toute circonstance peut en être l’opportunité), de la terrasse du café où j’attends quelqu’un, aux embouteillages, moments incroyables où chacun est « enfermé » – succession absurde de corps assis et alignés dans une direction commune mais vers une destination inconnue – dans une machine impuissante, mais ridiculement exposé dans un semi espace privé transparent ;  vision qui, j’imagine, ferait hurler de rire l’homme des cavernes qui passerait là par hasard.

Mais la palme revient à ces lieux, la plupart vastes espaces d’attente d’administration, où l’on se pose souvent pour plusieurs heures – j’ai attendu ainsi une journée entière la délivrance (mot tellement signifiant !) d’une carte grise à la Préfecture de Paris ! – muni du ticket craché par une machine,  l’œil et l’oreille suspendus à l’écran et à son signal sonore, qui annoncera, tels les résultats d’une tombola de l’attente, le bon numéro et le guichet gagnant. Ces endroits sont des arches, où pour quelques heures de traversée à temps et pas perdus, se forme un groupe de personnes d’autant plus imprévisible qu’il est hétéroclite et hasardeux. Combien de fois, dans ma torpeur contemplative, ai-je eu envie de sortir mon carnet et de prendre des notes… Cela aurait pu faire la substance d’un autre texte.

Mais je suis si bien, suspendue par les pieds au fil fragile de mon rêve éveillé….

 

 

Je vous attends… Attendez-moi.

 

Gertrude

 

photos-gertrude2 1483

 

Bulletin météO(s)

 

Quoi de Neuf en temps d’Os?

 

 

photos-gertrude2-2066.JPG

JC, La Relique aux cinq boutons ou la Station météO(s) de la Mercière, collection particulière,
fil, boutons, encre, papier, loupe en résine, feuille d’or, image pieuse et thermomètre sous verre bombé achetés sur Internet,
2,5 x 14 x 19 cm

 

C’est Jour de Fête au Désert:

Apparition

de la Fabuleuse Ambuleuse ceinte de Fil

dans le champ de vision

d’une bergère aux cinq boutons.

Le fil rouge indique le degré chaleureux idéal.

Gertrude est au beau fixe,

elle prépare

son parapluie et sa machine à coudre.

Gertrudomètre N°19: Cézanne par Mézigue

 

Cézanne par Mézigue:

Le Capitaine risque la croûte

en fromage à Cézanne.

 

cez.JPG

 

Des vertus de la vision  daltonienne et de l’approche couillarde sur les révélations de

La Vérité en Peinture :

 

Cassez vos bésicles et écartelez-vous l’œil sur la résistance du Maître.

Mesurez l’écart entre le Modèle et ses représentations.

Rouge à babord, vert à tribord,

gardez le cap

de la Sainte Victoire.

 

Article dédié à V. remarquable oculiste, promeneur daltonien sans adhérence.

 

le-blog-a-vincent.blogspot.com

&

sites.google.com/a/excentric-news.info/sous-le-clavier/accueil/cezanne

 

photos-gertrude2-2054-copie-1.JPG

JC, 2011, Cézanne par Mézigue,
Huile sur toile d’après Nature morte, crâne et chandelier de Paul Cézanne,
ancienne paire de lunettes cassée du Capitaine, chaînettte en métal, photographie numérique,
16 x 22 cm

 

 

Quel que soit le maître que vous préfériez, ce ne doit être pour vous qu’une orientation. Sans cela, vous ne seriez qu’un pasticheur.

 

Paul Cézanne, Lettre à Charles Camoin, décembre 1904

 

Et petit clin d’oeil amical à JK, si elle passe. 

 

Cela fait trois ans et demi

que Gertrude est en ligne.

Commencerait-elle à s’encroûter?

 

Gertrude Rose

casse la croûte

Gertrude Noire

croque la Pomme 

 

Auto-Oscopie N°2: Naître

 

img_1921bis.jpg

 

Je suis née morte ou presque morte.

 

Je me plais à le croire. Je ne m’en souviens plus, ma mémoire tient à celle de ma mère.

Cette dernière raconte que je suis née, étouffée et bleue, le cordon ombilical noué autour du cou, et qu’il a fallu me ranimer avec des claques.

 

Cet événement a pris dans mon esprit la précision des choses non vues. Je peux ainsi revoir en détail le corps bleu et gluant, la chose l’enserrant, fascinante et étrange comme un serpent.

Le champ de ma vision est envahi par le cordon, ce lien mère à fille, corps à corps, ni tout à fait l’une, ni tout à fait l’autre ; il prend allure de chair monstrueuse, mise à jour, mise à mort, prête à tuer avant d’être tranchée.

L’évocation de cette menace, vaincue par mon premier cri, a une dimension quasi mythique dans ma petite histoire ; elle m’a toujours plu : celle, presque rassurante d’avoir touché la mort en préambule à la vie comme garantie de son aboutissement.

Je crois bien connaître cet épisode depuis toujours, comme si sa conscience n’attendait au fond de mon esprit que quelques bribes d’entendement d’enfant pour en crever la surface et pour me lier à ma naissance ; si bien qu’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fière de ce que je voyais comme une particularité qui me distinguait des autres mortels.

 

Est-ce l’événement lui-même ou la légende que j’ai construite autour, qui s’est imprimé dans mon destin ? Toujours est-il que j’ai toujours eu la conviction de ne pas avoir surmonté l’épreuve pour rien. La vie avait donc à découdre avec moi, et moi à découdre avec la mort.

Cette dernière a toujours été le point central de ma conscience ; bien à l’abri derrière la façade de la petite fille drôle (qui faisait rire tout le monde avec ses airs de garçon manqué) elle restait pourtant assise sur mon estomac et m’abîmait dans des océans de terreurs à l’idée de la disparition possible de mes proches, bien plus que la perspective de ma fin.

J’ai ainsi toujours eu le sentiment de vivre en sursis, de ne jamais profiter pleinement de l’instant présent, mais de me trouver toujours dans l’espace intermédiaire de l’attente d’une catastrophe imminente.

J’ai, parfois, pu me laisser envahir par ce sentiment au point de rentrer dans une forme de catatonie, une presque-mort, arrêt face à la chose à l’affût.

 

Depuis, j’ai élaboré quelques solutions à ce décalage, parfois handicapant en société, entre l’instant présent pas tout à fait vécu et l’anticipation du moment redouté, dans une forme de cloisonnement : Une partie de moi est présente à ce que je fait, l’autre, mise au secret, mène sa vie autonome, creuse son trou comme le moine trappiste creuse sa tombe, tout en respectant un certain pacte de silence avec ma raison, prête, cependant à hurler dans ma tête dès que ma vigilance défaille dans l’obscurité du sommeil.

 

Ainsi, je suis née dans un cri étranglé : Intermédiaire vacillant entre inconscience de la vie et perte de l’insouciance de son arrêt imminent.

 

La naissance est un traumatisme, dit-on ; est-ce celui de s’arracher du ventre et de l’horizon clos des perceptions pour se trouver face au vide? Ou simplement celui de tendre vers la conscience ? Autant de questions de ma naissance parvenues à ma co-naissance le jour, où, à mon tour, je fus mère.

Ce jour-là, l’apparition de l’être qui est soi et qui, de seconde en seconde, ne l’est déjà plus, prit le sens du miracle ; mais aussi de la catastrophe.

Je vis, à cet instant, toute l’architecture de mes petits murets protecteurs s’écrouler dans un chaos indescriptible, où mes pires terreurs libérées se mêlèrent aux jouissances les plus intenses.

La logique bien ordonnée de la vie, construction patiente de mes petits égoïsmes, fut balayée d’un coup dans la déchirure du ventre, et de sa dépendance illusoire à l’œuf de ses enveloppements merveilleux.

Ce petit être brutalement mis en dehors, en devenir de soi, me mit hors de moi.

Son corps et ses sensations, d’une imprévisibilité extrême, m’échappèrent d’emblée, tout en m’arrachant les entrailles.

 

Sa chair si présente, si vulnérable, si émouvante envahit l’espace de mon désir, mais ouvrit à nouveau le gouffre sous mes pieds incertains.

 

 

Survivre devint à jamais un vain mot dès lors que l’autre, né de ma chair, mourrait.

 

Gertrude


 

photos-gertrude2 1483

 

 

  Gertrude Rose

voit la Vie en … Rrose

Gertrude Noire

plonge dans les marécages

 

photos-gertrude2-1958.JPG

JC, Le Cordon de Gertrude,
divers tissus tressés, argile,
longueur: environ 9m
 

 

Gertrudomètre: Dix-huitième version

 

 

Gertrudomètre n°18

ou

Le Tête-à-Tête du

 

Néant

photos-gertrude2-1793.JPG

photos-gertrude2-1799.JPG

photos-gertrude2-1804.JPG

 

  Objets ready-made trouvés sur un trottoir non loin de Pigalle,
vestiges d’un lieu mythique et disparu du XVIIIéme arrondissement de Paris,
futurs accessoires indispensables des performances gertrudiennes à venir.

 

 

Le Capitaine vous invite en tête-à-tête

à boire un verre de mauvais goût

sur son vaisseau fantôme

et à tenir quelques propos vaseux voire toxiques sur le concept sans contenu

du récipient à moitié vide ou à moitié plein.

 

Toutes les devises sont acceptées

 

Cela fait trois ans et cinq mois

que Gertrude tient son petit cabaret

 

 

photos-gertrude2-1817.JPG

Crazy Rose

ouvre sa boîte privée

et

la Noire

mène la revue

 

Pour participer au  spectacle féerique du Moulin Gertrudien

Inscrivez vous au Casting du Jeu de la Vérité

 gertruderose@lavache.com

 

1er Défi*: Gertrude raconte des salades

 

Gertrude à l’état de légume 

 

Plaiethore l’a rêvé

 

Le Capitaine l’a fait

 

photos-gertrude2-1731.JPG

Modeste hommage betteravier à Dimitri Tsykalov (collection particulière)

 

L’Os n’était pas comestible

et le combat fit rage.

La Belle finit en salade, et seul subsiste le témoignage virtuel de cette lutte acharnée à l’Âme blanche.

Au

Saigneur Plaiethore

 

photos-gertrude2 1713

 

*Gertrude se dégage de toute responsabilité quant aux défis improbables lancés avec inconscience par ses interlocuteurs.

 

2ème Défi

sur

gertruderosecelavi.over-blog.com

3ème Défi

sur

http://juliettecharpentier.fr/gertrudes

 

Gertrudomètre: Dix-septième version

 

Histoire

d’un ready-made insolite

au sourire secret

 

photos-gertrude2-1703.JPG

JC, 2011, Gertrudomètre n°17 ou Ready-made insolite,
bouteille en verre bouchon en liège, dé en os, achetés le 30/04/2011 sur le vide grenier de la rue Caulaincourt, Paris 18ème,
épingle d’entomologie, encre sur papier,
H:14 cm, diamètre: 6 cm

 

Fin de journée ; fin d’avril…

 

La tiédeur de ce samedi ne sait pas encore s’il faut céder la place à la fraîcheur du soir. Encore deux ou trois étals de ce premier vide grenier de printemps et je fais demi-tour.

Je n’ai rien trouvé : pas un seul de ces petits objets n’a su me sortir de ma torpeur ; pas même ce petit cadre à verre bombé et sa vierge en plâtre dont le prix, trop élevé, a clos définitivement le destin dans la poussière des vieilleries.

Je m’arrête devant une dernière table surchargée ; sûrement pas pour le fatras qui s’y entasse… Est-ce pour le sourire du vendeur que mon indifférence feint de ne pas avoir remarqué ? J’ai cependant bien vu l’œil qui m’attend.

Je reste là, indécise. Ma main se pose négligemment sur un objet ; je m’en saisis, le secoue. Il est juste cocasse : une bouteille de verre, sûrement un flacon de chimie, fermé par un gros bouchon en liège ; à l’intérieur, un dé usé en os. Je secoue encore : le dé fait un joli bruit dans le verre.

 

Le vendeur prend la parole :

       C’est drôle, dit-il, tout le monde s’intéresse à cet objet. Et à chaque fois, les gens secouent cette bouteille.

Je pose bêtement la question dont j’ai déjà la réponse :

       Pourquoi un dé enfermé dans une bouteille ?

       Pour la question, répond le sourire qui s’élargit, cette bouteille est là pour arrêter les passants.

L’homme commence à me plaire.

       Je vous l’achète, lui dis-je sans prendre aucun temps de réflexion

       Je ne vends que l’ensemble.

       Je le sais déjà. C’est combien ?

       Trois euros : un euro pour la bouteille, un euro pour le dé, un euro pour l’insolite…

Et ce qui est le plus important, c’est l’insolite, rajoute-t-il.

Ça aussi, je le sais.

Et lui, de rajouter encore :

       Vous savez, vous faites une bonne affaire, d’habitude c’est le dé qui fixe le prix, et il a la fâcheuse tendance de tomber sur le chiffre six.

       Nous faisons tous les deux une bonne affaire, lui dis-je en lui tendant ses trois euros.

 

Ce que j’omets de dire, c’est que dans ce flacon, j’emporte quelque chose d’inestimable que Gertrude aura tôt-fait d’épingler.

 

Le sourire, lui, brille par sa gratuité.

Celui que je lui rends n’est pas volé non plus.

 

La Rose et la Noire

sont toujours de la partie

 

Auto-Oscopie N°1: Écrire…

 

photos-gertrude2-1691.JPG

 

Écrire .

Former les lettres du mot le rend déjà redoutable.

Et pourtant, malgré la guerre que me déclare ma propre appréhension, et la résistance chaque fois renouvelée de la page à entamer, l’envie d’écrire me tenaille.

Sachez bien que je n’emploie pas là écrire dans le sens noble : il n’y a, dans mon intention, aucune envie de briller ni de « réussir » dans cette activité. Écrire est déjà bien assez douloureux…

Mais quelque chose, là, au fond, demande à être craché et se retrouver signes serrés et organisés, pour prendre sens dans l’étrange immédiateté de la lecture.

Il me semble que l’écriture, bien au-delà du simple traçage de lettres en mots, puis en phrases, et du petit miracle de cette mise en signes des formes et des pensées, nécessite la pleine conscience de l’acte. Écrire pourrait être en effet une fonction naturelle de plus, et en rester là ; dans le confort des utilités .

Si ce n’est que l’acte perd toute innocence quand il devient un choix, choix qui proclame « J’écris » et qui implique de ma part une présence absolue.

Écrire devient un médium, au même titre que le dessin, la peinture ou la photographie, dès l’instant où je décide sciemment de l’affronter ou d’éprouver sa résistance, autant que de m’y laisser aller (ou mourir) toute entière à en être possédée.

 

Je n’ai probablement jamais cessé d’écrire depuis le jeune âge où j’appris à tracer les lettres et construire les mots sur du papier, avec le bonheur magique de reproduire ce que mon œil lisait comme une révélation miraculeuse. Je sais qu’enfant du « bout du monde », vivant  dans l’éloignement d’une contrée originelle et fantasmée, j’écrivais beaucoup. J’entretenais en particulier une abondante correspondance avec une nébuleuse d’amitiés d’enfants laissées au bord du chemin des nombreuses pérégrinations outremer de mes parents . Le service postal, comme une machinerie merveilleuse , permettait la mobilité des mots d’un pays à un autre, à travers toutes sortes de péripéties que j’imaginais aussi palpitantes que les romans de Jules Verne. Ce mystère fut à son comble lors d’une chaîne épistolaire à laquelle je participais et par laquelle j’échangeais chaque semaine des cartes postales avec des enfants inconnus de différents points du globe.

 

Mais rares furent pour moi ces moments d’écriture désirée, décidée en tant qu’écriture à part entière, où chaque mot est pesé, façonné pour devenir une expérience inoubliable, un cadeau destiné au Lecteur « rêvé » ; ces instants de grâce et de partage dans l’acceptation totale « d’être » cette écriture et d’être lue comme un livre ouvert.

Ainsi, j’ai le souvenir d’une rédaction écrite à l’âge de huit ans, où je décrivais, avec moult détails et une dévotion certaine, mon grand-père, homme modèle parmi tous les modèles. J’avais, dans ce texte, mis un soin tout particulier à détailler sa ressemblance frappante avec la momie de Ramsès II vue lors d’un récent voyage au Caire ; Ramsès II, impressionnant d’éternel par son sommeil paisible, mais à la fragilité suspendue au geste du bras replié sur l’épaule dans un rêve arrêté. Je plaçai ainsi tout naturellement mon aïeul parmi les légendes, dans une sphère qui n’était plus tout à fait celle des vivants, ni encore celle des morts, peut-être dans ce vestibule merveilleux qui est celui des icônes.

Mon professeur, personnage sans véritable réalité que je n’avais jamais rencontré car j’étudiais par correspondance, en fut très impressionné, mais ne mesura pas, je pense, toute la portée de cette comparaison.

 

J’ai retrouvé également, au fond d’un vieux carton, une nouvelle écrite à l’âge de quatorze ans, écriture appliquée et écolière à l’encre bleue sur un papier quadrillé relié par des fils. La nouvelle s’intitule « Monsieur Dupont a des remords ». Elle relate une histoire vraie, rapportée par un de mes oncles qui la tenait de son tailleur juif, ancien déporté. Le récit absolument atroce, où la mort se présente sous ses plus abominables oripeaux, où la nature humaine se révèle  dans ses aspects les plus sordides, tomba dans mes jeunes oreilles comme l’incitation impérieuse de le coucher sur le papier, de le conjurer, voire en neutraliser l’horreur par un acte d’écriture.

 

Je connais toujours ce texte. Comment aurais-je pu l’oublier ? Mais à ce jour, je n’ai encore pu en relire les lignes écrites il y a si longtemps.

N’étais-je pourtant pas, moi-même, le lecteur auquel je destinais ce texte à travers le temps ? Un lecteur de maintenant dont le temps n’est pas encore venu.

Car, si à cette époque, j’écrivais avec l’inconscience de ma jeunesse, tournée vers ce futur si vaste, en amont d’une vie infinie, il me semble, à présent retourner mes yeux vers l’arrière. Écrire maintenant revient à se projeter vers l’aval d’un présent où je ne suis plus tout à fait, faire trois pas en avant vers là où je ne me trouve pas encore, mais dans un lieu que j’occupe déjà.

 

 

Depuis trois ans et quatre mois, je m’appelle Gertrude au gré des mots, mêlant mes souvenirs  au vide d’une boîte contenant tous les possibles. Je me joue de la fiction et joue la confusion, provocation que j’adresse à moi-même à travers mes lecteurs virtuels :leurs yeux sont autant de miroirs qui me renvoient à l’abyme.

 

 

Gertrude


 

IMG-copie-3.jpg


 

photos-gertrude2 1483