L’os qui roule.

JC, octobre 2017, L’Os qui roule, 9 feuilles de papier format A4 imprimées, découpées et collées sur papier,  0,5 x 19 x 28 cm.

Pourquoi ce texte ? Il me plait de prétendre que je l’ai choisi par hasard.

Et pourtant n’est-il pas le texte même des enroulements compulsifs : histoire de cordons, d’étouffement, d’entrailles et de nombril, de regard tourné vers soi-même ; ou encore de quelque grouillement intérieur en boucle.

Le texte s’intitule « Naitre » (cliquez ici) ; je l’ai écrit en 2011   pour je ne sais quelle obscure raison. Comme tous les textes que j’écris, peu l’ont lu ou le liront malgré sa mise en ligne et sa publication, potentiellement au vu et au su de tous, et dont je ne développerai pas ici le paradoxe.

Je choisis (ou pas) ce texte « Naitre » et, cette fois-ci, je décide de l’imprimer recto-verso avec la police la plus proche du manuscrit, avec les marges les plus étroites afin que le maximum de la feuille soit rempli. Et comme la dernière fois je découpe le texte ligne par ligne, le réduisant ainsi à une série de bandelettes de papier imprimé et ôtant au récit sa cohérence. Chaque bande de papier mesure 21 cm, la largeur d’une feuille A4 sur à peu près ½ cm ; cet « à peu près » se révèle vite intéressant car les spirales que je vais former vont être de hauteurs légèrement différentes et ces petites variations vont animer la surface de ma réalisation.

Mais revenons à mes bandes de papier : cette fois-ci je ne les colle plus bout-à-bout et décide de les utiliser brutes à longueur égale pour avoir des modules équivalents ; les seules variations se faisant sur les hauteurs des spirales et sur leurs capacités de « déroulement ».

Car j’enroule chaque bande de papier autour d’une baguette de bois dans laquelle j’ai pratiqué une petite fente. J’y engage l’extrémité de chacune et je tourne la baguette jusqu’à obtenir une spirale de papier très serrée ; saisissant fermement cette dernière entre le pouce et l’index, je la dégage pour ensuite relâcher légèrement la pression de mes doigts et libérer le petit ressort de papier qui se détend , se déroule jusqu’à ce que je décide de sa taille. Pour la fixer, je colle l’extrémité de la bandelette sur elle-même. La spirale peut ensuite être « modelée » à la forme voulue, ou aplatie ou pincée en pointe afin de mieux s’insérer dans un espace vacant : Chacune va trouver sa place dans l’enceinte du dessin régulateur de la face de Gertrude. Les contours en sont matérialisés au préalable avec d’autres bandes de papier formant barrière à la prolifération des spirales. Le tout est comme une matrice contenant les enroulements du texte. Ce dessin de Gertrude n’est autre que la énième version d’une représentation directement décalquée d’une seule et même photographie du crâne vue de face. Les spirales de papier sont placées une à une, s’adaptant les unes aux autres, prenant à chaque fois la forme adéquate pour s’insérer dans les interstices en attente. Le remplissage suit le schéma de l’os laissant en réserve les orifices et le vide du support. L’ensemble a priori constitué de la matière fragile du papier est d’une solidité et d’une résistance étonnante sous ma main. Le toucher en expérimente une épaisseur d’autant plus tangible qu’elle enferme le texte dans ses plis et rejoue les alvéoles de l’os.

Un os toujours en devenir de ses déroulements.

Cela fait neuf ans et dix mois que Gertrude roule, s’enroule, déroule mais n’amasse pas d’os.

 

Os en réseau.

 

JC, mai 2017, Série des Embrouilles, troisième version ou Le RésOs, filaments de stylo 3D, 6 x 17 x 32 cm

Voici neuf ans et cinq mois, je créai un blog, autrement dit une sorte de journal intime absurde en ligne sur internet, potentiellement au vu et au su de tous. Ce blog concernait ma pratique plastique autour d’un crâne familièrement, facétieusement, affectueusement prénommé Gertrude. Mais bien plus que de faire part de ma pratique plastique il s’agissait d’intégrer cette mise en ligne à ma démarche. Et même d’en faire un des piliers majeurs. Cela en devint très vite le moteur et la raison d’être. Rythmes et rites s’instaurèrent dans l’exposition virtuelle de Gertrude, me contraignant à toujours pousser plus loin cette aventure et ne jamais déroger aux obligations que je m’étais données.

Dès les débuts de cette expérience, je m’interrogeai sur les rapports complexes qu’entretenaient réel et virtuel : entre la réalité du crâne et les images dématérialisées de Gertrude, les filtres et les mises en scène à travers lesquels je la donnais à voir en cet espace. Également sur le regard supposé voire fantasmé de l’autre invisible et potentiellement infini, des interactions souvent fulgurantes avec des interlocuteurs inconnus, parfois fugaces, parfois durables. Certaines débouchant même sur des rencontres dans le monde réel.

Très vite je jouai des potentialités de cette mise en ligne, des échanges qu’elle suscitait.

J’en nourris ma pratique : plutôt que de raconter une histoire autour de Gertrude, je laissai l’histoire se dérouler au gré des rencontres. Ces dernières alimentaient l’entreprise, dans une fausse idée de remplissage d’un creux de plus en plus vide. Le blog connut des périodes fastes et tumultueuses comme des temps calmes, voire des traversées du désert.

Internet est un océan. On peut y naviguer des mois entier sans rencontrer quiconque, puis brusquement débarquer sur une terre peuplée d’inconnus. La quête en devient infinie mais surtout insatiable.

Le concept du blog, n’échappant pas à l’obsolescence des objets virtuels, amène rapidement à la recherche d’autres voies d’information encore plus efficaces, mais encore plus véloces, encore plus éphémères.

C’est ainsi qu’en 2013, je passai aux réseaux sociaux pour y faire rouler mon crâne encore plus vite. D’abord Twitter que j’abandonnai rapidement puis enfin Facebook.

Pour la rapidité, la diffusion et la circulation des informations, la facilité d’établir des contacts, passer d’un blog à Facebook était comme passer de la conduite d’une 2CV à celle d’une Ferrari.

Ainsi Gertrude, du petit bonhomme de chemin s’est brusquement retrouvée sur un circuit supersonique.

Enfin, en théorie…

Facebook est un fleuve qui coule en continu à une vitesse vertigineuse, charriant toutes sortes d’objets hétéroclites ; les contacts se font avec une grande facilité et se défont tout aussi rapidement ; se mêlent vrais et faux amis, nouvelles et anciennes connaissances, vieilles réminiscences, rancœurs rances d’une autre époque et toutes sortes de malentendus.

Tout cela défile sous notre regard en même temps fasciné et indifférent.

Et surtout addicte.

Car recharger la page est un acte compulsif à la hauteur du sentiment de non-maitrise que nous ressentons face à ce flux. Le besoin d’y participer nous tenaille et il devient vite impérieux de partager aussi des « informations », d’alimenter cette chose insatiable quotidiennement, voire plusieurs fois par jour, de récolter à son tour un maximum de petits signes de reconnaissance ou de commentaires élogieux. Car aimer, « liker » est le maitre mot sur Facebook, aimer jusqu’à la perte de sens ; c’est juste au nombre d’émoticônes que la satisfaction se mesure, mais également la frustration. L’effet en est fugace, et s’évapore comme le souvenir de toute publication.

Rapidement le rythme gertrudien, le concept même de sa mise en ligne ne suffirent ni ne correspondirent plus à cette urgence ; force fut de constater ma tentation de publier, comme beaucoup, tout et n’importe quoi pour nourrir le monstre affamé et amnésique, et de déroger à mes premières résolutions, celle de montrer en ces lieux uniquement ma pratique plasticienne.

Gertrude, elle, est conçue pour fonctionner sur une rythme particulier ; celui d’une immobilité qui avance ; ou l’illusion d’une avancée. Depuis sa mise en ligne en 2008, l’expérience se construit comme une sculpture, selon la logique d’un « Merzbau » ou d’un « Palais idéal », pierre par pierre, poussant les murs mais assise sur une base unique et inébranlable, essentielle à sa compréhension.

D’où ce blog , ses espaces et ses lois si définis, son rythme immuable et la taxinomie incontournable à sa structuration.

 

Autant un blog est une construction relativement pérenne que l’on peut parcourir de la cave au grenier, autant Facebook est l’instantanée d’un temps dont il est impossible de remonter le fil.

Le crâne Gertrude y a plongé tant bien que mal, émergeant çà et là , dans une cacophonie de plus en plus assourdissante, dans une perte de sens encore plus folle.

Elle est vidée et vide. Elle flotte parmi les bribes de ce que je laisse paraître de moi et d’elle sans aucune ambition de revenir ni d’aller si ce n’est pousser toujours plus loin la vanité d’y être.

Rien n’était prévu, mais rien ne sera laissé au hasard…. Plus que jamais.

Juliette Charpentier, mai 2017

La série des Embrouilles, première version.

Ou l’impossible exercice de superposition des traits.

Cela fait neuf ans et deux mois que Juliette et Gertrude s’embrouillent tout en mesurant l’écart de leurs profils.

Peuvent-elles pour autant en démêler les contours sans perdre la face ?

Série des Embrouilles, première version, crayon au graphite ou décalquage au stencil sur pages de carnet, 21 cm x 29,7 cm.

(Cliquez sur les images pour les voir plus grandes)

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Gertrude nuit et jour(s).

 

Ses nuits sont mes jours, elle nuit le jour et j’ouvre ses horribles fisses* la nuit longeant le fil en noctambule funambule, préambule du vide.

*Fisses: Néologisme laissé à l’interprétation de chacun.

jour3

JC, septembre 2016, Gertrude nuit, fil, toile de jute ajourée, 24 x 30 cm

Cela fait huit ans et neuf mois que Gertrude nuit sur la Toile et que la Crâneuse ajoure les toiles.

Le corps raccord de Gertrude.

On a beau vouloir prendre corps*,

découper les Je veux en quatre est facile

mais faire des parties un Tout

est une autre histoire.

Histoire partielle ou fragmentaire?

 

La Crâneuse tente de recoller les morceaux

depuis huit ans et huit mois.

* Toujours en pleine rodinade

JC, juillet 2016, Le corps des corps, vidéo d’animation à partir de petits modelages en plastiline.

 

L’appareil photo

 

L'appareil photo

L'appareil photo

Nikomat janvier 1999

L'appareil photo

 Nikomat mars 2016

Depuis dix-sept ans, rien.

Si peu d’évocations et un deuil arrêté enfermé, comme l’urne dans sa boite en carton tout en haut, tout au fond de la grande armoire.

 

Et soudain, cet appareil photo. Ma mère me l’offre comme une évidence dix-sept ans après la mort de mon père. L’objet n’avait jamais bougé de l’autre armoire, celle de l’Yvonne.

Ma première réaction est de refuser ce présent . Car « présent » est cet appareil photo ; si présent qu’il me semble impossible de me l’approprier comme s’il appartenait encore à mon père. Aussi dois-je faire l’effort de penser mon père au passé pour enfin m’en saisir et oser le manipuler.

 

L’appareil faisait partie de tout cet ensemble d’objets techniques que mon père affectionnait et préservait jalousement , de la caméra qui enregistrait notre vie familiale au télescope pour suivre la course des étoiles, du baromètre pour mesurer la pression atmosphérique aux pendules qu’il remontait cérémonieusement toutes les semaines.

Œil paternel qui nous regardait grandir, l’appareil photographique était de chaque évènement grand ou petit, de chaque déplacement, même le plus anodin.

Véritable métonymie emportant sa présence, je le vois très précisément dans les mains de mon père.

 

L’appareil a été acheté vraisemblablement vers 1975 dans le Pacifique Sud et provenait directement du Japon. De marque Nikon, il porte l’inscription Nikomat, et non Nikormat comme ceux conçus pour l’exportation que l’on trouve en France. Le boitier s’accompagne de quelques accessoires objectifs, flash, pied.

Je l’examine pour la première fois avec attention ; Il est lourd et robuste, le mécanisme simple, presque rudimentaire ne possède aucun automatisme.

Je m’apprête à l’ouvrir quand je remarque que le compteur de vues indique le chiffre 9 : Une pellicule est engagée, entamée, huit photos impressionnées sont là depuis dix sept ans. La mince couche de gélatine témoin de la lumière passée, dans l’effacement probable des sels d’argent, attend mon regard dans l’obscurité de la boite. Elle emporte ma décision et moi j’emporte mon précieux butin à Paris : je finirai la pellicule, celle que mon père a commencé juste avant sa mort.

Car moi aussi je suis un peu photographe, comme l’était mon père, en amateur, sans prétention . C’est bien grâce à lui que je le suis devenue. Il se trouve aussi que, depuis peu, après des année de numérique, je m’intéresse à nouveau à la photographie argentique ; j’ai ainsi exhumé et scanné des dizaines de pellicules noir et blanc réalisées dans ma jeunesse. J’ai également ressorti mes vieux appareils et acheté un antique boitier grand format sur internet.

Le Nikomat vient à point nommé, il sera l’outil indispensable à ma pratique.

 

De retour à Paris, j’ose enfin appuyer sur le déclencheur. Mais c’est sans compter sur les années de sommeil et d’inactivité du mécanisme qui se bloque aussitôt.

Il ne fallait pas croire que je pourrais m’approprier ainsi, sans vergogne, l’appareil photo que mon père avait bichonné pendant vingt-cinq ans et rangé pour dix sept ans d’oubli dans l’armoire de l’Yvonne. « On ne réveille pas les morts si facilement » me rappelle le deuil qui reste toujours à faire.

L’objet-œil paternel résiste à ma frustration, à ma déception, à ma peur d’avoir anéanti tout ce soin. À la hâte, je rembobine la pellicule entamée, celle que je ne finirai jamais. Je sais que j’ai irrémédiablement voilé quelques vues par des manipulations maladroites. Combien en restera-t-il sur les huit présumées?

 

Alors l’urgence s’impose face à cette deuxième mort. Une deuxième chance pour l’urgence qui n’a pas réussi à refaire partir la mécanique cardiaque de mon père.

Dans l’heure il me faut trouver un réparateur qui saura remonter le temps, rendre à l’objet l’éclat de sa perfection, celui qu’il avait du vivant de mon père. Peu importe le prix ; je traverse la ville le jour-même pour confier l’appareil malade. Il sera guéri dans trois semaines. En passant je dépose la pellicule dans un magasin spécialisé.

 

Je récupère le négatif quelques heures plus tard, et le scanne ; apparaissent quatre images aux couleurs pales et au grain marqué : paysages de neige d’une Dordogne familière, témoignage modeste des dernières vacances passées en famille avec mon père : trois vues où je reconnais ma sœur, ma fille adolescente, le chien de la maison qui suit, et ce paysage sans personne avec, au centre, le château dans la brume.

 

On a toujours photographié le château, c’est comme un rite, comme une politesse qu’on lui ferait en passant .

 

Juliette Charpentier, Le Cahier de Jeanne, mars 2016 (extrait)

L'appareil photo

L'appareil photo

Cela fait huit ans et trois mois que la Crâneuse affiche ses photos sur Internet

Si Gertrude Noire est toujours sérieuse

ce n’est pas toujours le cas de Gertrude et Gertrude Rose

Gvernis

 

Cela fait huit ans et deux mois

que la Crâneuse cache l’Os naturel

sous le vernis culturel

 

G vernis

JC, , février 2016, Gvernis

Acrylique et vernis sur toile, 20 x 30 cm

 

G vernis

JC, , février 2016, Gvernis

Pastel et vernis sur page de carnet noir, 30 x 40 cm

 

Alors que le vernis craque chez Gertrude Noire

Gertrude  pèle sous la croute et l’os poche en Rose