Le motif Gertrude: L’exception au Capitaine n°7

 

 

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JC, Pinceau gertrudisé, motifs tamponnés à l’acrylique sur papier de soie, pinceau usagé.

 

 

La répétition du même motif n’est pas quelque chose de nouveau dans ma pratique.


Enfant, je dessinais des « usines à poulets », des enchainements sans fin de machines, d’engrenages, de tapis roulants, de rouages autour desquels s’activaient sans relâche des volatiles  à crêtes hérissés et aux pattes grêles.

Je me souviens très bien du plaisir que j’éprouvais à détailler cette activité et à remplir la surface du papier de toutes les possibilités articulatoires que m’offrait le système jusqu’à celle de continuer sur une autre feuille. Je ne pense pas m’être ennuyée une seule fois à en dessiner les combinaisons répétitives et il me semble avoir poursuivi cette marotte un certain nombre d’années.


À l’âge adulte, alors que je commençais à acquérir une pratique de peintre à l’École des Beaux-arts, j’ai très vite retrouvé cette jubilation de la répétition.


Il est une période antérieure aux épisodes abordés précédemment dans ce blog (cliquez ici, ici et ), où je pris véritablement conscience du pouvoir de renouvellement de la répétition, ainsi que de sa capacité à provoquer le surgissement de phénomènes nouveaux.

Je mélangeais alors autoportraits et motifs décoratifs (parfois « empruntés » à ceux si beaux d’Henri Matisse). Je travaillais avec des pigments mélangés à de la paraffine que je faisais chauffer, et que je devais appliquer immédiatement sur le support avant qu’elle ne fige.


Très vite, je me désintéressai de l’aspect « autoportrait » pour ne plus peindre ainsi que des motifs décoratifs. L’intérêt de cette peinture abstraite, répétitive en all-over, associée au procédé de la cire, était qu’elle révélait brutalement la surface du support avec une grande matérialité en s’affirmant autant en fond qu’en forme ; ces derniers se retrouvant à égalité dans la « lecture » du motif sans aucune hiérarchie.


Ce fut pour moi une vraie révélation de peintre, car entre ce fond et cette forme juxtaposés sur le même plan, surgissait un nouvel espace, un interstice de jonction qui respirait au gré de mon geste répété mais chaque fois renouvelé ; une sorte de fontanelle mouvante en promesse de devenir dont la sensation (que j’attribue, peut-être à tort à tout phénomène de picturalité) ne m’a plus jamais quittée et m’a convaincue à jamais qu’il était inutile « d’inventer » de nouvelles formes pour renouveler la peinture ; que cette dernière s’alimentait d’elle-même des infimes et infinis décalages que la picturalité était susceptible de générer.


Le constat peut paraître évident, voire banal, mais je sais qu’il faut non seulement en faire l’expérience mais aussi avoir ce « déclic » de la vision pour le prendre à son compte.

 

On pourrait penser que l’activité Gertrude échappe à cette voie de peinture dans laquelle je prétends m’être engagée depuis plus de trente ans.

J’ai pu le croire aussi quand, exhumant Gertrude de l’oubli il y a sept-huit ans, j’eus l’ambition de lui « inventer » ou lui « redécouvrir » une histoire, un passé, une mémoire. Mon activité aurait pu ainsi basculer du côté de l’imagerie d’une fiction, peut-être en a-t-elle parfois titillé les limites.


Mais Gertrude au fil des années s’est révélée un motif puissant, bien plus puissant que son « histoire ». Gertrude, malgré mes résolutions, mise en avant comme sujet, est restée objet. Elle a même renforcé sa qualité d’objet en me désignant, moi, comme sujet.


Certes, la pratique concrète de la peinture est particulièrement mise à distance dans cette aventure, mais contre toute attente, je reste plus que jamais le peintre, le peintre de Gertrude, le seul autoproclamé dont Gertrude est la motivation, le motif/modèle, le motif répétitif.


Malgré une assez grande variété de mises en œuvre, le motif Gertrude, de point de vue littéral, se limite à quelques représentations de face et de profil, dessins, peintures, modifications infographiques dont les modèles ne sont, ni plus ni moins, que les quelques photographies de départ que j’ai réalisées du crâne de Gertrude.

L’utilisation de ces représentations dans des réalisations plus ou moins farfelues, au gré des mes envies, des rencontres, des circonstances ont fait de Gertrude une image, qui bien sûr, lui reste propre, étant toujours celle de sa « physionomie » unique, mais qui se vide peu à peu de sens en flirtant avec celle stéréotypée et très à la mode de la tête de mort.


On peut ainsi autant se questionner sur les capacités « décoratives » de Gertrude dans la composition d’objets/bricolages qui, souvent, n’ont plus grand chose à voir avec une « mémoire gertrudienne » que sur celles à « jouer » à l’infini les « vanités » en tant que « reste humain » et à déranger ainsi les petits arrangements d’une plasticienne dilettante qui n’a ni le temps ni le courage de combattre en peinture.


Gertrude, ainsi, se répète sans en avoir l’air, n’abordant de front ni la mort, ni elle-même, ni moi, effleurant la surface des choses en restant chose. Quant à moi, je procrastine une peinture à laquelle je consacrerai tout mon temps quand je l’aurai et quand il sera temps et pas trop tard, et où, enfin, je ferai surgir entre Gertrude et le fond qu’elle trimballe la vérité de sa vraie nature.


Juliette Charpentier, Paris, le 9 avril 2014

 

 

3-copie-1.jpgJC, 1983, autoportrait et motifs décoratifs, pigments et parafine sur contreplaqué

 


CompOSition Poïétique en Boîte n°4: La Grande Boîte

 

La  Grande Boîte

est plus petite que Rome

mais plus grande

que le jardin de Gertrude

 

Visez l’Infini

en gardant vos distances

et vous serez projeté

directement dans le labyrinthe

du Crâne

 

Laissez-vous emporter

par le grand flux

de ses résOs

 

 

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JC, La Grande Boite,

collages de photographies numériques, code QR du blog de Gertrude imprimé sur papier, porte badge en plastique muni d’un mousqueton, fil rouge, éléments électroniques de récupération, boite en carton de récupération,

37 x 28 x 4 cm.

 

 

 

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Cela fait six ans et trois mois

que Gertrude

a fait le grand saut

dans l’espace virtuel

 

 

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Gertrude Rose se fait toute petite

mais prend de la place,

Gertrude Noire

obtient la moyenne

 

CompOSition Poïétique en Boîte n°6: La Petite Boîte

 

La Petite boite

est en vérité

six boites si petites

que Gertrude rit

de s’y voir multipliée en riz


 

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JC, La Petite Boite,

crayon sur grains de riz sculptés, boite en plastique transparent à six compartiments

(Boite à pilules pour malade qui se repose le septième jour ou boite à peinture pour artiste qui n’est pas du dimanche),

18 x 3,5 x 2 cm.

 


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Cela fait six ans et trois mois

que Gertrude est une petite crânerie

 

 


CompOSition Poïétique en Boîte n°5: La Moyenne Boîte

 

 

La Moyenne Boîte

n’est ni grande ni petite

mais juste dans la moyenne

des tons moyens

et des représentations

très moyennes

 

 

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Cela fait six ans et trois mois

que Gertrude

se donne les moyens d’en rire

 

 

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JC, La Moyenne Boîte,

crayon, acrylique, pièce de dix centimes de franc, papier quadrillé d’écolier, effigie stéréotypée de tête de mort en carton bouilli, boite en carton de récupération,

17 x 17 x 4,5.

 

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La plus grande c’est Gertrude

même si la Rose en rit

et veut être Gertrude à la place de Gertrude