Et Temps dernier. Topographie n°5.

 

Juliette Charpentier, Détail de Gertrude,
13 x 16 cm, mine de plomb.


Je n’ay plus que les os, un Schelette je semble,
 Decharné, denervé, demusclé, depoulpé,
 Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
 Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

 Apollon et son filz deux grans maistres ensemble,
 Ne me sçauroient guerir, leur mestier m’a trompé,
 Adieu plaisant soleil, mon oeil est estoupé,
 Mon corps s’en va descendre où tout se desassemble.

 Quel amy me voyant en ce point despouillé
 Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
 Me consolant au lict et me baisant la face,

 En essuiant mes yeux par la mort endormis ?
 Adieu chers compaignons, adieu mes chers amis,
 Je m’en vay le premier vous preparer la place.


Pierre de Ronsard, Derniers vers.

Philippe Soupault.

            La mort. Je répète ce mot. J’ai parfois senti son odeur sauvage comme celle qui s’échappe des triperies, j’ai entendu le claquement de son vol qu’on dit noir, j’ai vu la mort de près et je ne parviens pas à en être trop effrayé. Elle me paraît souvent n’avoir qu’une valeur d’échange. Ces mots que j’aime, la liberté ou la mort, sonnent dans mes oreilles. Je la préfère à beaucoup de buts qu’on m’a proposés en me disant qu’ils étaient beaux.
        Si je pense à elle sans dégoût, ce n’est pas parce que je crois à un au-delà quelconque, ce n’est pas non plus parce que je m’imagine qu’il existe ce qu’on nomme la postérité. Je songe banalement à un grand sommeil, large comme une plage d’océan.


Philippe Soupault, Histoire d’un blanc, Mémoires de l’Oubli. 1927